Tu prendras bien des zharicots ?

Tu prendra bien des zharicots

 

« J’aime bien les (z)haricots verts ! », combien de fois mes parents ont repris ma prononciation des « (z)haricots » m’expliquant, sans pour autant être convaincants, que le h aspiré (inspiré ?) empêchait la liaison… Victoire le jour où l’Académie Française, au grand dam des puristes, a autorisé la liaison ! Une évolution de la langue qui agite les réseaux sociaux depuis quelques jours…

« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. » Cioran écrivait d’or en 1987, dans Aveux et anathèmes.

La langue est d’abord un usage social avec ses contraintes et ses transgressions. J’adore manger un pilon de poulet avec les doigts dans mon jardin de Saône-et-Loire, ce n’est pas pour cela que j’en oublierai couteau et fourchette si, d’aventure, on me servait du poulet dans un dîner en ville !

Même Victor Hugo avait bien compris que la langue se prononce… comme elle se prononce et qu’elle vit sa vie. A moins d’être morte ! On se souvient tous de la chanson de Gavroche sur les barricades « C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau ». La règle est la norme, le nid, puis les mots prennent leur envol et vivent leur vie. D’ailleurs, le Français en partage dans les pays francophones se renouvelle et se réinvente tous les jours. Il n’y a qu’à voir, lire et dire les 10 mots de la Francophonie 2016 tirés du français parlé. Réjouissants et innovants pour la plupart !

 

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Histoire de h… La rédaction de cet article m’a donné l’occasion de découvrir que j’avais pris mes désirs pour des réalités au sujet des haricots… Comme quoi la rumeur fait parfois autorité ! Lu sur le site de l’Académie Française

Le haricot ou l’haricot ?

Le h de haricot est « aspir », c’est-à-dire qu’il interdit la liaison, impose que ce mot soit prononcé disjoint de celui qui le précède, au singulier comme au pluriel. On écrit et dit : le haricot, non l’haricot ; un beau haricot, non un bel haricot. Tous les dictionnaires indiquent par un signe conventionnel quels h (généralement d’origine germanique) sont aspirés et quels h (généralement d’origine gréco-latine) ne le sont pas. Pour certains mots, l’usage est indécis. Ce n’est pas le cas de haricot : la liaison est incontestablement une faute.

La rumeur selon laquelle il serait aujourd’hui d’usage et admis que l’on fasse cette liaison a été colportée par un journal largement diffusé dans les établissements scolaires, L’Actu (n°8 du jeudi 3 septembre 1998, p.7), qui n’a pas jugé bon de publier de rectificatif.

 

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La polémique enfle et gronde depuis quelques jours. Tout y passe, des insultes à l’encontre de la ministre de l’Education nationale aux futures incompréhensions, en passant par l’humour… « Je suis sûr ta sœur elle va bien » à ne pas confondre avec « Je suis sur ta sœur elle va bien ». Là où il aurait d’ailleurs fallu écrire : « Je suis sûr que ta sœur va bien » à ne pas confondre avec « Je suis sur ta sœur : elle va bien » !

Il est de bon ton de s’insurger (surtout si on est un opposant du Gouvernement) contre la nouvelle orthographe de « nénufar », « ognon »,… Oubliant d’ailleurs qu’aux XVIII et XIXe siècles, oignon s’écrivait ognon, et nénuphar prenait un f jusqu’en 1935 (le ph est arrivé par le biais d’une erreur de copiste dans le Dictionnaire de l’Académie française ! Amusant…).

Mais qu’en est-il réellement ?

Cette réforme de l’orthographe date de 1990 (Premier ministre : Michel Rocard ; ministre de l’Education : Lionel Jospin). Il s’agissait de simplifier des règles organisant l’écriture du français. À l’époque, un Conseil Supérieur de la Langue Française a été créé pour proposer un certain nombre de réformes à appliquer. Des modifications assez mineures en étaient sorties, notamment sur les pluriels complexes et l’utilisation de l’accent circonflexe.

Depuis 1990, cette orthographe révisée est la norme officielle et les programmes scolaires ont l’obligation de respecter cette orthographe. C’est pourquoi il est indiqué en note de bas de page des programmes applicables à la rentrée 2016 qu’ils tiennent compte de la révision de l’orthographe adoptée en 1990. Comme normalement tous les manuels depuis 26 ans, aucun des différents ministres qui se sont succédés ne s’émouvant de la chose…

Pour mémoire, le ministre de l’Éducation nationale n’a pas pouvoir de déterminer les règles en vigueur dans la langue française. Ce travail est celui de l’Académie française depuis sa création par Richelieu en 1635.

« La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences » (article XXIV). À cet effet, « il sera composé un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique » (article XXVI), et seront édictées pour l’orthographe des règles qui s’imposeront à tous (article XLIV).

D’ailleurs, en 1990 et à propos de cette réforme qui fait débat 26 ans plus tard, Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie française, affirmait : « Il a été entendu que les propositions des experts devraient être à la fois fermes et souples : fermes, afin que les rectifications constituent une nouvelle norme et que les enseignants puissent être informés précisément de ce qu’ils auront à enseigner aux nouvelles générations d’élèves ; souples, car il ne peut être évidemment demandé aux générations antérieures de désapprendre ce qu’elles ont appris, et donc l’orthographe actuelle doit rester admise. »

 

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Beaucoup de bruit pour rien ? Pas si sûr…

L’Académie ne fait que suivre – et tente de devancer plus rarement – l’évolution inéluctable de la langue. Ses recommandations (là encore pas d’obligation) formalisent l’usage officiel du français, mais la langue telle qu’elle est vraiment parlée ou écrite, vit au quotidien, se transforme par la pratique.

Bon alors, cette polémique autour de l’accent circonflexe ? Les Immortels ont décidé de cette réforme, soit. Ces mots transformés feront peut-être mal aux yeux de quelques irréductibles… Mais n’oublions pas que l’écriture d’une langue n’est que pure convention, et que celle-ci s’ajuste inévitablement avec le temps. Connaissez-vous l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François 1er en 1539 ? C’est l’acte fondateur de la primauté et de l’exclusivité du français dans les actes administratifs du Royaume. Bon courage pour la lire dans sa version d’époque…

« Que les arretz soient clers et entendibles et afin qu’il n’y ayt cause de doubter sur l’intelligence desdictz Arretz, nous voullons et ordonnons qu’ilz soient faictz et escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander interpretacion. »

Eh oui, ça pique les yeux et on doit s’y reprendre à deux fois avant de tout saisir.

A mon sens, cette réforme n’aura pas pour effet d’amoindrir la langue ou la pensée.

Le français a de tout temps évolué, la plupart du temps plus par la rue que par l’élite. On n’a qu’à voir les « nouveaux » mots qui intègrent le dictionnaire chaque année, passant du quotidien à la postérité du dico.

Alors, au nom du « bien dire » et du « bien écrire » devons-nous refuser toute évolution ? A mon sens non, même si en l’espèce nous sommes loin de l’évolution par la pratique au profit de la pratique par l’évolution.

En fait, si la langue évolue tous les jours, je ne croie pas que cette évolution doive venir d’en haut, comme ça. Sauf à constater cette évolution, ce qui en l’espèce n’est pas le cas.

Sous couvert de simplifier la langue et de l’adapter aux besoins du jour, la réforme de l’orthographe actuelle ne résoudra rien. D’autant que l’usage recommandé est facultatif et que l’ancienne forme cohabitera avec la nouvelle. Facile d’apprendre ça aux élèves !

Si l’orthographe doit évoluer, c’est par les usages qui en sont faits, constatés a posteriori par l’Académie française. Pas l’inverse…

NB : à lire cette petite histoire des réformes de l’orthographe… D’un clic, ici

 

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Pendant ce temps là, on ne parle pas des vrais problèmes de l’école : la maîtrise des savoirs fondamentaux : lire, écrire et compter…

Comme l’a très bien dit François Bayrou dans le JDD, « prétendre que ces simplifications imposées facilitent en quoi que ce soit l’acquisition de l’orthographe par les élèves est une plaisanterie de garçon de bains. Ce n’est pas l’orthographe de nénuphar qui est un problème au collège, c’est l’accord du sujet avec le verbe, au pluriel le s ou le x pour les noms, et le nt pour les verbes, et la conjugaison simple. Non pas le recherché ou le complexe, mais l’élémentaire. On ne facilitera pas le travail des enseignants de français ou des professeurs des écoles en introduisant dans les esprits des élèves l’idée que ces règles qu’ils essaient de transmettre sont discutables et d’un autre temps. »

Le plus drôle, c’est que cette réforme de 26 ans ne sera pas obligatoire. En fait, c’est comme à l’Ecole des Fans, tout le monde a gagné. Jugez plutôt cette précision prise sur le site du ministère de l’Education nationale :

Ces règles sont une référence mais ne sauraient être imposées, les deux orthographes sont donc justes :

- Pour l’enseignement de la langue française, le professeur tient compte des rectifications de l’orthographe proposées par le rapport du conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française (Journal officiel de la République française du 6 décembre 1990).

- Pour l’évaluation, il tient également compte des tolérances grammaticales et orthographiques de l’arrêté du 28 décembre 1976 (Journal officiel de la République française du 9 février 1977).

 

En 1992, Pierre Perret sortait une chanson sur cette réforme… Je ne m’en lasse pas. Une chanson doit d’abord être lue ! Tout est écrit (dit) !

Tous les cent ans les néographes
Font une réforme de l’orthographe
En rognant les tentacules
Des gardiens d’ nos virgules
On voit alors nos gens de lettres
Chacun proteste à sa fenêtre
Mes consonnes au nom du ciel
Touche pas à mes voyelles !

 

La réforme de l’orthographe
M’eût pourtant évité des baffes
Quand je tombais dans le panneau
De charrette et chariot
Le Roi pourtant fût bien le Roué
Le François devint le Français
Et Molière mit aussi
Un y à mercy
Le véritable sacrilège
Serait de suivre ce cortège
De vieilles lunes alambiquées
Eprises de compliqué

 

La réforme de l’orthographe
M’eût sans doute évité des baffes
Quand du tréfonds de ma détresse
J’oubliais toujours l’S
Croqu’monsieur et tirebouchon
N’ont plus besoin d’un trait d’union
Croquemadame et tapecul
N’en auront plus non plus
Contremaîtresse et contrefoutre
Eux-mêmes ne pourront passer outre
Entrecuisse et entrechat
N’ont pas non plus le choix

 

La réforme de l’orthographe
M’eût sans doute évité des baffes
C’est les cuisseaux et les levrauts
Qui me rendaient marteau
Faudra aussi laisser quimper
Dans nos chères onomatopées
Ce trait unissant froufrou
Yoyo pingpong troutrou
On pourra souder nos bluejeans
Nos ossobucos nos pipelines
Vademecum exvoto
Feront partie du lot

 

La réforme de l’orthographe
M’eût sans doute évité des baffes
Mettre un T au bout de l’appât
Que n’avais-je fait là
Et quand malgré nos vieux réflexes
On pos’ra plus nos circonflexes
Sur maîtresse et enchaîné
On f’ra un drôle de nez
Mais les générations prochaines
Qui mettront plus d’accent à chaînes
Jugeront que leurs aînés
Les ont longtemps traînées

 

La réforme de l’orthographe
Contrarie les paléographes
Depuis qu’un L vient d’être ôté
A imbécilité

 

Les Commentaires ( 1 )

  1. de jerome manin
    posté le 7 fév 2016

    « Quel beans la fin des haricots !. » ERB Général dans la liaison.

      Répondre

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