Où il est question de déchéance…

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Piège ou pas piège ? Symbole ou idée stupide et inefficace, née de l’émotion ? Marqueur de droite qui divise la gauche ? Les gazettes et la classe politique s’enflamment, entre deux réveillons, sur la thématique de la déchéance de nationalité qui sera proposée au congrès le 2 février dans le cadre d’une révision constitutionnelle elle aussi abondamment critiquée.

 

Les faits. Le projet de loi constitutionnel a été présenté en conseil des ministres le 23 septembre. Il porte sur deux points : inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, ainsi que la possibilité de déchoir de leur nationalité les binationaux nés Français ou naturalisés reconnus coupables de faits de terrorisme. On est dans la droite ligne du discours du Président de la République lors de son intervention devant le Congrès après les attentats du 13 novembre. Discours applaudi dans une concorde nationale de la montagne aux girondins !

Bien entendu, l’unité nationale n’a pas survécu. Guidée par l’émotion et l’urgence, elle a duré le temps d’un deuil. Bien vite, les manœuvres politiques ont repris le dessus, à 17 mois des présidentielles. On parle même de piège ourdi par un François Hollande aux abois et une Marine Le Pen qui aboie.

Cette révision constitutionnelle semble sur le fond comme sur la forme purement guidée par l’émotion. L’arsenal juridique est suffisant et il couvre déjà ces deux points. On est donc dans le symbole… Pour l’excellent député LR Benoist Apparu, interrogé sur RTL mardi matin, « On est en train de faire tout un fromage sur une mesure qui en termes d’efficacité antiterroriste ne servira strictement à rien. J’aime beaucoup les symboles, c’est très important les symboles. Mais peut-être qu’en France, on pourrait arrêter de faire de la politique avec des symboles pour faire des choses efficaces, utiles ».
Dans son discours de présentation du projet de loi constitutionnelle, le Premier ministre a lui-même indiqué que l’efficacité n’est pas le motif de cette mesure : « L’efficacité, ici, – et tout le monde l’aura compris – n’est pas l’enjeu premier. C’est une mesure – je l’ai déjà dit – à caractère hautement symbolique. C’est une sanction lourde que la Nation est légitimement en droit d’infliger à celui qui la trahit au plus haut point. »

Bien entendu, la révision de la Constitution ne précise pas quels sont les crimes « constituant une atteinte grave à la vie de la Nation » et qui peuvent amener à une déchéance de la nationalité pour les personnes nées françaises et détenant une autre nationalité. Ce sera donc au Parlement de se saisir du dossier… Le débat promet d’être dense ! Et tant que la loi n’aura pas précisé les crimes, le régime actuel de déchéance de la nationalité tel que défini par le Code civil demeurera inchangé, révision constitutionnelle ou pas.

Et puis il y a une absurdité crasse dans ce projet : il laisse entendre qu’il est plus grave qu’un Français naturalisé commette un acte terroriste contre ses compatriotes qu’un français de souche ! A l’heure où les médias pointent la France comme le premier pays de recrutement de l’Etat Islamique, ça fait rire ! Il y a actuellement en Syrie, comme dans certains pays d’Afrique, de nombreux français de souche convertis à l’islam radical, et qui ne sont pas concernés par cette révision constitutionnelle car la déchéance ne sera jamais possible pour une personne ne détenant que la nationalité française, sauf à la rendre apatride.

Il n’y a eu en réalité qu’un seul cas dans notre histoire où une loi a prévu la déchéance de nationalité pour des personnes nées françaises : c’est la loi du 22 juillet 1940, votée sous le régime de Vichy…

 

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Les Républicains sont bien embêtés face au piège… C’était en 2010, à Grenoble. Nicolas Sarkozy disait à la tribune, dans un discours à l’époque largement vilipendé par la même gauche qui est aujourd’hui aux manettes : « Je prends mes responsabilités. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. La nationalité française se mérite et il faut pouvoir s’en montrer digne. Quand on tire sur un agent chargé des forces de l’ordre on n’est plus digne d’être français« .

Difficile pour les sarkozystes de se renier… D’autant que les électeurs de droite sont majoritairement favorables à la mesure (déjà prévue dans certains cas par la loi*). S’y opposer serait se contredire, se désavouer et se ridiculiser. Et se renier ouvrirait un front supplémentaire avec le FN qui passerait alors pour le chevalier blanc de la sécurité des Français. Mais les voter serait rentrer dans le jeu du Président et lui offrir un succès sous couvert d’union nationale alors que se dessine le temps de l’élection présidentielle.

La manœuvre politique est évidente et habile… On ne peut que saluer d’une seule voix la fermeté d’un Président et d’un gouvernement souvent accusés de laxisme ! Difficile de refuser l’inscription dans la Constitution de procédures sécuritaires, alors que les menaces sont réelles et plus fortes que jamais. Qui à droite osera, à quelques mois des primaires, refuser les instruments que le Gouvernement offre au pays pour assurer sa sécurité ?

 

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Changer de cap ? Je me souviens du débat très controversé sur l’identité nationale lancé au début du quinquénat de Nicolas Sarkozy. Une bonne idée, décriée, mais qui avait généré plus de 50 000 contributions. Pour ne rien en faire à l’arrivée. J’avais à l’époque, sur ce blog, témoigné du débat qui avait eu lieu dans les salons de la Préfecture. A lire ici.
Bonne idée car il y a toujours à apprendre de débats de fond avec les Français. Le Président de l’époque aurait pu s’en inspirer pour proposer une vision, un cap et donner envie aux Français d’aller ensemble quelque part. Mais l’idée a fait pschitt comme si la forme était plus importante que le fond.

Hervé Mariton, candidat à la primaire de la droite et du centre et député LR, est lui favorable à l’instauration du droit du sang. « Parce que c’est le sens même de la nationalité, c’est le sens de la patrie. Le principe directeur doit être le droit du sang, naturellement enrichi par la vie et la vie, ça s’appelle la naturalisation. Mais là encore la naturalisation ne doit pas être quelque chose donné trop facilement. Je m’inspire de l’exemple canadien, celui du stage de nationalité. Quand les Canadiens donnent la nationalité, ils reçoivent le demandeur et au bout de quelques années où on a démontré sa parfaite conformité à la loi et à la société canadienne, alors on devient canadien et on ne vous retire plus la nationalité. »

Le vrai débat est ici. La droite, si elle ne veut pas tomber dans le piège, a intérêt à changer le cap du débat. Car il ne s’agit pas de retirer la nationalité à des terroristes, menace bien illusoire vue de la Syrie, mais bien de s’interroger sur qui nous sommes et sur l’accès à la nationalité. Mot dans lequel il y a Nation…

 

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Recomposition ou décomposition ? Depuis la sortie de Jean-Pierre Raffarin en faveur d’une union nationale sur le front de l’emploi, on voit bien les politiques se crisper. Affaibli, même si son image temporaire de « Père de la Nation » le fait remonter dans les sondages, François Hollande ne pense qu’à l’échéance de 2017. Quitte à passer par une recomposition du paysage en assumant le virage libéral d’un PS qui n’est plus que l’ombre de lui même et un rapprochement avec une partie de la droite et du centre.

On est dans la suite naturelle de la « stratégie Terra Nova » écrite pour le PS. Elle recommandait, en synthèse, de capitaliser sur les habitants des villes, classes moyennes et supérieures (les fameux bobos), à abandonner l’électorat populaire et ouvrier et à ajouter des politiques ciblées envers les minorités discriminées. Objectif : faire muer le PS en parti libéral sur les sujets de société et l’économie. Face à une droite souvent radicalisée et conservatrice sur les sujets de société et qui a démontré qu’elle était incapable de faire de véritables réformes libérales. Et face à un FN protectionniste et réactionnaire. Stratégie qui, si elle réussissait, couperait le PS en deux parties (les extrêmes et les « centristes ») et autoriserait une recomposition avec certains Républicains.
Mais n’est pas Angela Merkel qui veut. Et la France n’est pas l’Allemagne. A fortiori à 17 mois des présidentielles et à quelques mois de la primaire de la droite et du centre.

Face à la déliquescence du gouvernement, les centristes de l’UDI ont tout intérêt à s’arrimer au bateau des Républicains. Surtout après ces régionales qui leur ont démontré que leur électorat penche nettement plus à droite qu’à gauche. L’émergence en 2016 d’une grande coalition entre le PS et les centristes est pour moi invraisemblable.

En braconnant sur les thèmes de la droite, voire de l’extrême droite, pour étouffer la droite et le centre, François Hollande fait trois paris de base : sa gauche est trop éclatée et trop radicalisée pour représenter une véritable concurrence ; le traumatisme du 21 avril 2002 est suffisamment présent dans les esprits des socialistes pour que l’électorat PS soit captif du «vote utile» en sa faveur ; en tant que président sortant, il est le candidat légitime de son camp pour 2017.

 

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Et après ? Force est de constater qu’aux élections régionales les Français, comme ils en ont souvent l’habitude, ont voté contre : contre François Hollande, contre la droite, contre le FN, contre le système. Et rarement pour une offre politique qui les enthousiasme.

Le ménage à trois, Hollande-Sarkozy-Le Pen, qui semble déjà écrit comme une mauvaise pièce de boulevard n’enthousiasme personne. Je me méfie des victoires annoncées quasiment deux ans avant… Le jeu est beaucoup plus ouvert que l’imaginent la plupart des commentateurs avisés. Le TSSHLP, « tout sauf Sarkozy, Hollande, Le Pen » commence sur les réseaux sociaux. Vu d’en haut, c’est aimable plaisanterie. Vu d’en bas, certains se souviennent comment avait commencé la montée du non à la Constitution européenne. Par un seul « non » sur le blog d’un enseignant. On se souvient de la suite…

 

 

* Merci à Paul Jorion et Cédric Mas pour l‘analyse juridique

Les articles 25 et 25-1 du Code civil organise la déchéance de la nationalité pour un individu qui a acquis la nationalité française et en détient une autre, décidée par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, pour des personnes qui ont été condamnées pour certains crimes et délits à savoir  :

1) les crimes et délits « constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme » ;

2) les crimes et délits prévus et réprimés « par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal » (atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique) ;

3) la soustraction « aux obligations résultant pour lui du code du service national » (largement tombé en désuétude !).

Il faut ajouter une 4e situation qui ne suppose aucune condamnation, c’est la déchéance du Français qui s’est « livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».

Dans tous les cas, le Code civil prévoit trois contraintes :

• la déchéance doit être prononcée par un décret, qui ne peut être pris que sur avis conforme du Conseil d’État.

• il faut pour 3 des 4 hypothèses une condamnation pénale devenue définitive.

• et en aucun cas, cette déchéance ne doit aboutir à créer un apatride (c’est-à-dire que la personne déchue doit disposer d’une autre nationalité).

Et pour couronner le tout, cette déchéance ne peut intervenir que dans deux délais de prescription qui se cumulent :

– au plus tard dans les 10 ans de la condamnation ou de la survenance des faits (pour la 4e hypothèse)

– et au plus tard dans les 10 ans de l’acquisition de la nationalité. Il convient de noter qu’en application d’une Loi du 23 janvier 2006, ce dernier délai sera porté au 1er janvier 2016  à 15 ans pour les déchéances prononcées dans le 1er cas, qui concerne les condamnations pour terrorisme.

 

Les Commentaires ( 6 )

  1. de jerome manin
    posté le 30 déc 2015

    Équilibré, juste et presque sage, c’est bien parfois pendant la trêve des bonbonheurs tant que ça ne finit pas par être sucré comme du propolis à la Juppé.

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  2. de Sergio
    posté le 30 déc 2015

    Les Français approuvent en grand nombre la mesure sur la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France et condamnés pour terrorisme. Et peu importe que la classe politique se déchire à ce sujet. La preuve en chiffres: selon un sondage Opinion Way commandé par Le Figaro, 85% des Français se disent favorables à la proposition du Chef de l »Etat. In Le Figaro
    Les politiques seront-ils lâches en obéissant servilement à la foule ou sauront-ils penser et analyser ?

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  3. de PadawamRosé
    posté le 31 déc 2015

    Maître Yoda,

    D’où tu sorts ce 2 février pour Versailles ? Perso je vois 2 lectures par assemblées.

    Si j’étais parlementaire, je déposerais un amendement de suppression des art. 16 et 36 pour réécrire le nouvel art. 36 :
    Poser le ppe de l’état d’urgence et consultation du CC avant prolongation législative ; ainsi au’au bout de 30 jours pour le bien fondé.

    Renvoi à une loi organique pour les modalité d’application.

    Pour la déchéance de nationalité, je me demande s’il n’y aurait pas une violation de l’art 8 de la CEDH.

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  4. posté le 3 jan 2016

    En es-tu sur jeune padawan rosé ?

    ==>> L’article 89 de la Constitution organise la révision de la Constitution : le Président de la République, sur proposition du Premier Ministre, peut déposer un projet de révision constitutionnelle et les parlementaires une proposition.

    Elle ne pourra avoir lieu pendant une période d’intérim ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire, ou pendant l’application de l’article 16 ni réformer la forme républicaine du gouvernement.

    Le texte de révision doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, sans qu’il soit possible de réunir une commission mixte paritaire.

    Si l’origine de la révision est parlementaire, le texte sortant du parlement doit être ratifié par référendum. En cas de projet, le président de la République peut ne pas soumettre le texte à référendum mais préférer recourir au Congrès, c’est-à-dire la réunion en une seule assemblée des sénateurs et des députés. Dans ce cas il sera approuvé s’il réunit une majorité des 3/5èmes des suffrages exprimés.

    Le Congrès est convoqué par le Président de la République le jour fixé par lui, à Versailles (aile du Midi), sous l’autorité du Président de l’Assemblée nationale et de son bureau. Un règlement, reconduit à chaque nouvelle réunion, a été adopté en 1963 ; il régit les débats. Ces derniers sont publics et sont retranscrits au Journal officiel.

    La compétence du Congrès est limitée au projet qui lui est soumis. Les parlementaires ne peuvent d’adopter ou refuser la révision. Le Premier Ministre ou un ministre expose l’objet de la révision puis s’expriment les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat et un représentant de chaque groupe. Puis suit le vote qui est personnel ; le vote peut avoir lieu à main levée, par assis et levé, au scrutin public ordinaire ou à la tribune ; le scrutin public est de droit lorsqu’il est demandé par le président de séance, le gouvernement ou un président de groupe et bien sûr pour l’adoption finale qui doit se faire à la majorité des 3/5èmes.

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  5. de Recompositor
    posté le 3 jan 2016

    Le dernier sondage daté d’il y a deux jours est clair : trois Français sur quatre (74%) ne souhaitent pas que François Hollande et Nicolas Sarkozy soient candidats à la présidentielle de 2017 selon un sondage Odoxa publié dans Le Parisien/Aujourd’hui en France.

    Le président de la République et son prédécesseur à l’Elysée font exactement jeu égal: seuls 24% des Français veulent qu’ils soient candidats à la prochaine élection présidentielle, 74% étant d’un avis opposé.

    Game over !

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  6. de PadawamRosé
    posté le 9 fév 2016

    Mais encore Maître….

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