Comment désespérer Billancourt…

Renault

A la lecture des journaux du jour, j’irai à l’inverse de la réplique écrite par Sartre dans Nekrassov « Désespérons Billancourt ! Désespérons Billancourt ! ». Je pense que depuis hier matin, les managers de l’ancienne régie doivent être à la peine.

Responsable, mais pas coupable. C’est en résumé la position du conseil d’administration de Renault qui était amené à statuer sur cette pathétique affaire d’espionnage industriel. Et pourtant, les conclusions de l’audit présenté lors de cette réunion « pointent de graves dysfonctionnements à l’intérieur du management de l’entreprise ». Mais les responsables en sortiront indemnes, car il en va de l’avenir de l’alliance Renault Nissan dans un contexte où la réussite économique fait pencher la balance en faveur de Nissan. Seul Patrick Pélata, n°2 du Groupe, a sauté. Pour être immédiatement recasé, sans passer par la case Pôle Emploi. Il avait d’ailleurs annoncé début mars que le constructeur au losange tirerait « toutes les conséquences, jusqu’au niveau le plus haut de l’entreprise, c’est-à-dire jusqu’à (lui-même) » en cas d’erreur dans l’affaire d’espionnage industriel dont le groupe s’estimait victime. Et pour sauver le moteur de l’alliance Renault-Nissan, rien ne vaut un bon fusible… Pélata muté, le troupeau est sauvé !

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C’est une affaire « de corne cul » aurait dit mon père dans son (parfois) langage fleuri d’officier de l’armée. Un officier qui savait que l’honneur consiste à couvrir ses hommes et à tirer les conséquences de ses échecs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le plus japonais des patrons français, Carlos Ghosn, n’a pas retenu toutes les leçons des samouraï de son pays d’adoption. Il n’était pas obligé de se faire seppuku, mais au moins d’assumer les erreurs et d’en tirer des conséquences.
Car enfin, les synthèses des réunions au sommet parues dans l’Express témoignent d’une affaire digne d’une équipée de Bibi Fricotin de l’intelligence économique. Des espions à la limite de la transparence, de vrais faux comptes en Suisse, des anciens agents secrets, de l’argent, une exfiltration des cadres soupçonnés au petit matin, des indiscrétions distillées avec soin auprès des journalistes, la vindicte d’un PDG sûr de lui et dominateur au 20 heures de TF1, des avocats brandissant des preuves connues d’eux seuls et, pour finir, « pschitt ! »

Tout aura été ridicule et pathétique dans cette affaire.

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Elie Cohen, membre du conseil d’analyse économique, explique sur son blog :

« Au regard des pratiques de gouvernance, cette affaire révèle une triple défaillance : défaillance du management de la sécurité dans une entreprise mondialisée ; défaillance de la chaîne hiérarchique et du contrôle interne qui n’a rien vu, rien empêché ; défaillance du Conseil d’administration et de ses comités spécialisés qui n’ont rien trouvé à redire à ces comportements. Ces failles devraient alarmer sur l’état de l’entreprise, de sa gestion, de sa gouvernance. Au-delà des réparations dues aux cadres écartés, un immense effort de renouveau managérial s’impose dans cette entreprise.

Pourtant, passé le moment de l’autocritique télévisuelle, l’équipe dirigeante vaque à nouveau à ses occupations. Comment peut-on expliquer une telle impunité ? Faut-il la mettre sur le compte d’une performance économique incontestée ? Ou faut-il plutôt invoquer le caractère singulier de la gouvernance de l’alliance Renault-Nissan ?

Quelques mois après avoir succédé à Louis Schweitzer, Carlos Ghosn mobilisait ses troupes autour d’une grande ambition : faire de Renault le groupe le plus rentable de la planète. Pour cela il fixait une feuille de route – le Plan 2009 – qui devait faire de Renault le leader incontesté de son secteur grâce à une offre produits étendue et renouvelée et à une optimisation des coûts et des investissements. La créativité de Renault + l’ingénierie de production de Nissan + la vision mondialiste de Ghosn devaient permettre de hisser l’alliance au troisième rang mondial. Renault, pour sa part, devait accroître de 800 000 le nombre des véhicules vendus (3,3 millions de véhicules en 2009 contre 2,53 en 2005), continuer à augmenter ses effectifs, notamment en France, et élever sa marge opérationnelle à 6%. Carlos Ghosn, que tout le monde célèbre alors, s’engage : il entend régler le problème éternel de Renault qui réside dans son inaptitude à concevoir et à vendre des véhicules haut de gamme capables de rivaliser avec les grosses berlines allemandes, tout en préservant les positions traditionnellement fortes de Renault dans l’entrée de gamme et en élargissant la gamme à des segments inexplorés (4X4 crossover et autres véhicules de niche).

À l’arrivée, l’échec est flagrant. Renault rate son haut de gamme, ce qui met en péril ses usines françaises, ses positions sont attaquées dans l’entrée de gamme grâce au renouveau de Fiat, quant aux 4X4 et autres nouveaux véhicules leur timing est malheureux (le 4X4 Koleos sort en 2008). Quand s’amorce le retournement du marché en 2008 Renault sort des véhicules qui ne plaisent pas et dont le design est jugé frileux (notamment la Laguna III). Résultat, la part de marché de Renault sur le marché européen s’effondre littéralement à 7,2% en 2007, et le nombre de véhicules vendus par Renault dans le monde, loin d’atteindre les 3,3, est à 2,3 millions.

Mais la perception des performances de Carlos Ghosn n’est pas aussi négative que ces chiffres pourraient le laisser supposer. En fait Carlos Ghosn est crédité d’une triple réussite qui permet de minorer la contre-performance européenne. Le redressement de Nissan est exemplaire et le parent pauvre de l’alliance est rapidement devenu sa poutre maîtresse. Le succès de la Logan, qui n’est pas son œuvre, est en passe d’être dupliqué en Inde, au Maroc, au Brésil, en Russie. Il semble parfaitement à l’aise dans un monde globalisé et son image est telle que les Russes comme les Américains veulent lui confier le destin de leur industrie automobile (Avtovaz ou General Motors). Enfin il a fait avant tout le monde le pari risqué du passage accéléré au véhicule électrique. En février 2011 il annonce un nouveau plan intitulé Renault 2016 (« Drive the change »), qui doit permettre à Renault d’assurer sa croissance et d’améliorer sa rentabilité avec au cœur du dispositif le lancement de quatre véhicules électriques Fluence ZE, Kangoo ZE, Twizy et Zoé. Renouveau et extension de la gamme, standardisation des plateformes et réduction des coûts, duplication du modèle Dacia dans les émergents, pari sur le véhicule électrique : tels sont les ingrédients de la nouvelle stratégie, qui efface la précédente et promet à nouveau des lendemains qui chantent. »

Ghosn sauvé pour raisons stratégiques ? Pourquoi pas.

En attendant, mettons nous à la place de ce manager de Renault, ou de ce technicien, ou de cet opérateur de production. L’organisation de l’entreprise, comme de nombreuses autres, tend à augmenter les responsabilités de tous. Et c’est tant mieux. Mais en cas de pépin, de faute, d’erreur, comment Renault, et les managers, justifieront-ils la sanction ? Responsable, mais pas coupable ? Ou l’éternelle conclusion de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

Les Commentaires ( 2 )

  1. de Jérôme Manin
    posté le 12 avr 2011

    « Si tout le monde a bonne opinion d’une mauvaise affaire, elle est une bonne affaire. » Paul Valéry

      Répondre

  2. posté le 18 avr 2011

    Eric, bonsoir,

    Sans faire de fautes, je te dis que cette affaire est effectivement lamentable, surtout en ce qui concerne cette entreprise qui a un historique social fort.

    Elle fut longtemps une entreprise de socialisation de l’industrie dans une politique stratégique industrielle, mais aussi une avant garde dans le domaine des relations sociales.

    Elle est malheureusement l’exemple trop nombreux du comportement de nos entreprises envers ses salariés.

    Gaullistement
    Claude JEANDEL

      Répondre

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