Ni excès d’honneur ni indignité !

En allumant BFM TV puis LCI, j’ai compris que l’heure était grave. Que la dictature sarkozienne tant redoutée était en marche. « Abus de pouvoir », « arbitraire », « monocratie », « dérive », « danger », « l’opposition, la justice et les médias risquent d’être arasés »Pour un peu, depuis Versailles, les chants de la révolte auraient éclaté. « Aux armes citoyens ! »

Avez-vous seulement lu les modifications de la constitution qui viennent d’être adoptées par le Parlement à la majorité des 3/5è + une voix ? Vraisemblablement non. Comme la majorité des Français.
Et pourtant, face à ce torrent d’invectives, à ces peurs si feintes (surtout venant de Saint-Just Montebourg), à cette aspiration à la « vigilance républicaine », à ce déferlement d’indignations de gauche envers le PRG de Jean-Michel Baylet ou Jack Lang, le « traître » comme vient de le qualifier, hargneuse, Ségolène Royal (le Comité de salut public est proche !), il convient de faire un petit point.
Car après tout, cette réforme des institutions a ceci d’extraordinaire qu’aucune de ses propositions – à part sans doute la possibilité, contestée par le PS, pour le Président de venir s’exprimer devant le Parlement – ne méritait un rejet de principe. D’ailleurs, Julien Dray n’avouait-il pas la semaine dernière en « off » que le vote de la gauche serait d’abord politique. « Contre Sarkozy ! » Pathétique !
En effet, la gauche milite depuis de nombreuses années pour plusieurs des mesures adoptées ce soir : l’encadrement de l’usage du 49-3 (la fameuse adoption d’un texte par le Parlement sans vote), le renforcement du pouvoir de contrôle parlementaire, le partage de l’ordre du jour avec l’exécutif, le droit de regard donné au Parlement sur la reconduction des opérations militaires, le référendum d’initiative populaire, la possibilité pour des citoyens de saisir le Conseil Constitutionnel… Clin d’œil du Monde dans un éditorial du 21 juillet : ce dernier projet avait, vainement, tenté d’être « vendu » à François Mitterrand par l’un des adversaires les plus résolus de la révision alors qu’il était président du Conseil Constitutionnel, le sénateur socialiste Robert Badinter.
« Monocratie » a d’ailleurs lancé cet ancien Garde des Sceaux toujours dans Le Monde. Et il a raison. Il faut bien reconnaître que le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, plaçant les législatives juste après les présidentielles, ont profondément transformé la Ve République. Beaucoup plus que VGE et d’autres l’avaient prévu… Ajoutez le volontarisme de Sarkozy et son omniprésence, et vous avez une « hyperprésidence »… Dont il faut noter qu’avec ce vote, il ne sera plus possible l’exercer plus de deux mandats d’affilée. Ouf, la menace de la dictature à vie s’éloigne ! ;-)
Alors, c’est vrai que cette réforme aurait mérité d’être plus large, plus ambitieuse, avec une interdiction du cumul des mandats, la création d’un véritable statut de l’opposition comme il existe en Grande-Bretagne… Mais ne boudons tout de même pas ces avancées. Et notons tout de même que la présidence de l’influente Commission des Finances de l’Assemblée nationale a été attribuée à un socialiste. Mais de tels gestes de reconnaissance de l’opposition sont vite oubliés dans cette dictature… de l’actualité !

J’ai pompé dans Libération la synthèse des principaux points de cette révision constitutionnelle. A vous de juger…

L’exécutif
Le chef de l’Etat pourra s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès. Sa déclaration pourra être suivie, après son départ, d’un débat sans vote. Il ne pourra exercer plus de deux mandats consécutifs. Le droit de grâce collectif disparaît. Le Conseil supérieur de la magistrature n’est plus présidé par le chef de l’Etat mais par le premier président de la Cour de cassation.

Le Parlement
Il a pour mission de contrôler l’action du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Le nombre des députés est limité à 577 (nombre actuel), celui des sénateurs à 348 (contre 331 aujourd’hui). Les Français de l’étranger disposeront de représentants à l’Assemblée. Si une intervention militaire à l’étranger excède quatre mois, le gouvernement doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Son ordre du jour, jusque-là soumis à l’exécutif, sera partagé : le gouvernement ne conserve la priorité que sur la moitié du calendrier, ainsi que sur les projets de loi de finances, de financement de la Sécu et les textes en navette. La discussion des projets de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission parlementaire concernée et non plus sur le projet initial du gouvernement. Le nombre des commissions permanentes passe de 6 à 8 dans chaque assemblée. En dehors des projets de loi de finances et de financement de la Sécu, le Premier ministre ne peut plus user du 49-3 qu’une fois par session. Toute nouvelle adhésion à l’Union européenne donne lieu à un référendum, sauf si une majorité des 3/5es de chaque assemblée autorise le Président à procéder à une ratification par voie parlementaire. La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique.
Les citoyens
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. Un référendum peut être organisé à l’initiative de 1/5e des membres du Parlement, soutenu par 1/10e des électeurs inscrits. Avec l’exception d’inconstitutionnalité : un justiciable peut saisir le Conseil constitutionnel, par le biais du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, pour contester la loi qu’on veut lui appliquer s’il estime qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux. Un «défenseur des droits» peut être saisi par toute personne s’estimant lésée par un service public. Les langues régionales sont reconnues comme appartenant au «patrimoine de la France».

Alors ? Pas de quoi fouetter un Jack Lang ! Non, cette modification ne méritait ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. La conclusion appartiendra à deux personnalités de gauche.
Manuel Valls (PS) qui a voté contre sur ordre : « Une réforme constitutionnelle qui passe à deux voix, ce n’est pas l’idée que je m’en fais. C’est une occasion gâchée et une occasion perdue pour le PS de participer à une réforme où il aurait dû prendre toute sa place ».
Guy Carcassonne, constitutionnaliste et proche du PS :  » Pour le Parlement, c’est de loin l’avancée la plus importante de ces cinquante dernières années. Le dispositif dont on parle le moins est celui qui aura la plus grande portée : une semaine sur quatre sera réservée au contrôle de l’action gouvernementale et à l’évaluation des politiques publiques : désormais, le Parlement va pouvoir enfin faire un utile travail de contrôle, y compris sur sa propre législation, et s’interroger sur l’efficacité des textes qu’il vote, ce qui sera souvent plus utile que d’en voter de nouveaux. »

Un dernier mot. Réunir une majorité de 60% ne peut être décrit comme une défaite. D’autant qu’une victoire, en démocratie, s’écrit à partir de 50% + une voix !


Oui ou non, qui a voté quoi ? La liste est téléchargeable sur Rue89

Les Commentaires ( 12 )

  1. de La voix du milieu ? (jm)
    posté le 21 juil 2008

    Nous avons de quoi nous réjouir de l’occasion de placer le mot anticonstitutionnellement,les journalistes sont timorés.
    Notons cependant que 6 voix de dissidence à l’UMP et 1 chez les socialistes, montre encore une fois le caractère autoritaire et quasi militaire de la droite. (sans compter ce que va se prendre ce ce grand benêt de Jack).
    Et puis, la presse commence à mettre tous les radicaux dans la même cabine… cabine d’essayage ou de pilotage ?

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  2. de Gérard VOLLORY
    posté le 21 juil 2008

    Au lieu de vouloir sanctionner à tout prix notre Président de la République, les Socialistes, à l’image de Jack LANG, auraient mieux fait d’adhérer à ces avancées pour la Démocratie : mais les Socialistes savent-ils la définition de ce mot ? j’en doute….

    Sans doute ont-ils confondu VERSAILLES et REIMS ?

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  3. de Depuis la rédac...
    posté le 21 juil 2008

    Voici ce que vous lirez dans Le Figaro de demain sous la plume de Paul-Henri du Limbert

    La Ve République bis votée avec une voix d’avance, comme la IIIe ! Nicolas Sarkozy a gagné son pari, in extremis. La modernisation de la Ve faisait partie du programme de «rupture» qu’il avait proposé aux Français : la voici sur les rails. Malgré l’attitude contestable du PS, qui voulait la réforme mais a voté contre au nom d’une vision assez convenue de la politique : quand on est dans l’opposition, on s’oppose, quels que soient le sujet et les circonstances. Peu importe, après tout, les circonlocutions et les sinuosités des socialistes. On retiendra simplement que c’est la droite qui a approuvé lundi une réforme réclamée depuis environ un demi-siècle par la gauche. Depuis qu’un certain François Mitterrand, rageant et fulminant, a écrit Le Coup d’État permanent. C’était en 1964.

    À quoi ressemblera désormais la Ve République ? Ce sera ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Sur le papier, la nouvelle loi fondamentale marque une évolution notable, avec les pouvoirs nouveaux qu’elle accorde au Parlement. Certains, à droite, brandissent la menace d’une rapide paralysie de l’exécutif, comme si la France était inéluctablement condamnée au grand n’importe quoi dès lors que l’on donne plus de latitude et d’autonomie au pouvoir législatif. N’est-ce pas une vision un peu pessimiste et désespérante des choses ? Avec le vote du Congrès, on ne revient pas à la IVe et à ses gouvernements qui duraient quinze jours. Mais on quitte un système qui voyait toujours les parlementaires perdre leurs bras de fer avec le gouvernement parce que les règles du jeu étaient ainsi faites que l’exécutif avait systématiquement le dernier mot. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que Michel Rocard a utilisé vingt-quatre fois en trois ans l’article 49-3 afin de contraindre sa majorité PS-PC. Ce ne sera plus possible. Comme il ne sera plus possible pour le chef de l’État, quel qu’il soit, d’user et d’abuser de son «pouvoir discrétionnaire» sans demander son avis au Parlement. La réforme votée lundi à Versailles multiplie ce genre de dispositions qui, mises bout à bout, dessinent un nouvel équilibre des pouvoirs. Les «majorités contraintes» le seront un peu moins ; en tout cas, on leur en donne les moyens. Le système français perdra de sa singularité remarquable pour certains, détestable pour d’autres et le président de la République ne sera plus tout à fait le «monarque républicain» que l’on nous décrit depuis 1958. Au-delà de l’aspect institutionnel, le vote de Versailles, même s’il fut incroyablement serré, marque une incontestable victoire psychologique pour Nicolas Sarkozy. Cette réforme, dont, depuis des années, chacun parlait avec plus ou moins d’insistance à gauche comme à droite, il l’a faite, même si elle était risquée. Cela s’appelle le volontarisme. La gauche peut reprocher ce qu’elle veut à Nicolas Sarkozy, mais pas d’avoir de la suite dans les idées et de faire rigoureusement ce qu’il a promis. Après Versailles, on peut supposer que le Président ne s’arrêtera pas en chemin. Le vote du Congrès sonne plutôt comme un encouragement à poursuivre la modernisation du «cher et vieux pays». À la majorité plus une voix. C’est la définition même de la démocratie.

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  4. de Erick Roux de Bezieux
    posté le 21 juil 2008

    @ JM
    Il est vrai que personne ne s’est ému de l’attitude des radicaux de gauche (PRG), qui ont, en grande partie, voté en faveur du texte et donc contribué eux aussi à l’adoption du projet. A gauche, comme à droite, un seul nom accapare les esprits, celui de Jack Lang. L’arbre qui cache la forêt ? J’entends déjà les Fouquier-Tinville fourbir leurs armes derrière Thierry Braillard !

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  5. de jerome manin
    posté le 21 juil 2008

    En parlant de constitution : « La constitution délicate des femmes est parfaitement appropriée à leur destination principale, celle de faire des enfants. Sans doute la femme doit régner à l’intérieur de la maison, mais elle ne doit régner que là. Partout ailleurs elle est déplacée. » Mirabeau
    PS : c’est du troisième degré au fond à gauche.

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  6. de jerome manin
    posté le 21 juil 2008

    A lire : http://thierrybraillard.com/ on comprend vite…

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  7. de Michel Guillou
    posté le 22 juil 2008

    Chers amis,

    La réforme des institutions de la République française votée hier au Congrès est une double victoire pour la Francophonie.

    D’abord parce que le mot « francophonie » apparait dans le titre XIV de la Constitution et ensuite parce qu’elle fait l’objet d’un article nouveau.(art. 87)

    Cette victoire donne courage à tous ceux qui veulent contruire la troisième Francophonie.

    Je voulais partager ce moment de joie avec vous.

    Amicalement et bonne vacances,

    Michel Guillou

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  8. de JJ BOIS
    posté le 22 juil 2008

    Bravo l’artiste pour avoir pris encore une fois un risque important pour faire passer cette réforme!!Réforme plus conforme aux idées PS qu’à celle des derniers gaullistes….mais pourquoi pas!

    Par ailleurs ayant lu les derniers écrits de Thierry Braillard,je pense que sa cause va mériter de remplacer celle d’Ingrid
    Betancourt dans le coeur des Français.Voila un homme critiqué par l’opposition UMP(voir la video sur la pose de la premiére pierre du Palais de la Région),et quasiment décapité dans son propre parti!!Tout cela est intolérable.Mais un Radical…est un Radical,et de droite ou de gauche il ne renonce jamais(pas vrai JM?..),j’ai donc bon espoir de le voir dans la cuisine Lyonnaise encore de nombreuse années mème sans ètre VP de son parti!Au fait Tapie va t’il revenir?

    Enfin,du moment qu’il s’adresse au bon peuple militant « en toute humilité »,il n’y a rien à commenter,reste à prier pour qu’il continue son combat en s’installant royalement aux confluences..rendez vous compte:la seule région avec l’Auvergne,qui n’a pas son palais dans la capitale,intolérable pour un » républicain sportif « comme lui.

    Sacré Jack Lang,toujours dans l’actualité,a t’il une date de péremption?

    A+

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  9. de JJ BOIS
    posté le 22 juil 2008

    Juste un mot pour dire mon optimisme par rapport à la crise immobilière que beaucoup redoutent:avec ttes les RECONSTRUCTIONS de partis,PS,PRG…le batiment va surement repartir très fort.

      Répondre

  10. de jerome manin
    posté le 22 juil 2008

    @JJ Bois
    Lang cherche surtout une date de préemption.
    Quant à la crise immobilière la ville de Lyon possède un nombre hallucinant de salles qui ne servent qu’aux manifestations de la mairie et n’oubliez pas qu’il va y avoir de la place à Charbonnières quand Queyranne va vendre le siège de la région…
    La vraie crise c’est le m2 dans le 1er arr. par exemple qui a plus que doublé de prix lors du mandat de la dernière municipalité ne doublera pas ces 6 prochaines années alors on parlera de crise :-)

      Répondre

  11. de JJ BOIS
    posté le 23 juil 2008

    Merci JM de prendre ainsi Lang avec moi!
    Ai trouvé l’expression d’un « quarteron » de députés socialistes assez croustillante s’agissant du réflexe d’antisarkozysme pavlovien,comme quoi ils ont le sens de la formule qui autodétruit.*

    Mais comment font ils pour avoir toujours des électeurs,avec leur débauche de contradictions en interne?

    * contrairement à ce que pourraient laisser supposer certaines expressions que j’utilise je n’ai jamais été gaulliste.

      Répondre

  12. de jérôme Manin
    posté le 23 juil 2008

    « L’avantage des formules, c’est d’avoir l’air profond, parce qu’elles sont vagues, claires parce qu’elles ont dogmatiques. » Rodolphe Töpffer
    le socialiste moyen* aime les formules, parce qu’il en est emprunt et vit entouré de formules, il a ainsi l’impression d’être un acteur de sa pensée.
    *En 1924, Edouard Herriot emploie le terme « français moyen » pour la première fois, non pas dans un sens condescendant mais avec l’inquiétude de savoir si le « français moyen » va comprendre l’attitude des politiques français qui en 1924 s’inquiètent du possible réarmement de l’Allemagne (quand les Anglais et les américains sont pour l’effacement de la dette allemande).

      Répondre

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