Quand des parlementaires s’indignent…

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Une quarantaine de parlementaires, majoritairement membres de la Droite Populaire (UMP tendance droite), vient de signer une tribune libre sous le titre « Christianophobie en Orient… mais aussi en Occident ». Le louable « soutien aux chrétiens d’Orient » se transforme vite en une charge contre de récentes expositions ou pièces de théâtre et un soutien implicite aux très controversés militants de Civitas. Choquant ? Parlons-en ce soir du 8 décembre à Lyon, où religion et Fête des Lumières s’entremêlent.

Ce texte, le voici… dans son intégralité.

« Christianophobie en Orient… mais aussi en Occident !

Les chrétiens sont persécutés partout dans le monde, dans l’indifférence générale. Parmi les actes les plus récents, on peut évoquer les assassinats et emprisonnements abusifs de chrétiens au Vietnam, une religieuse tuée en Inde le 15 novembre dernier, 130 chrétiens massacrés le 5 novembre 2011 au Nigéria, le meurtre d’un jeune Somali chrétien réfugié au Kenya le 27 octobre dernier, ou encore les persécutions subies par les coptes en Egypte. Le nom de « Jésus Christ » était interdit, jusqu’au 23 novembre, dans les sms au Pakistan, et les sociétés de téléphonie mobile avaient pour consigne de ne pas transmettre les messages contenant un mot prohibé. Mais notre pays n’est pas épargné, dans l’indifférence quasi générale également ! Un crucifix et trois statues de la Vierge ont été profanés dans les Landes en une dizaine de jours. Sans parler de l’Art, qui après avoir été « sacré » pendant plusieurs siècles dans notre pays, est désormais trop souvent irrespectueux de la religion chrétienne. Au printemps, le Piss-Christ d’Avignon (crucifix macérant dans un bocal d’urine) ; mi-novembre, un étudiant en deuxième année « d’arts plastiques » de l’Université de Corse et auteur d’une exposition de photos « Histoire d’une absence » , et dont une des affiches, partout placardée dans l’université, montrait la photo en gros plan d’un sexe d’homme adulte autour duquel était entortillé un chapelet ! Puis les deux pièces de théâtre qui font malheureusement trop parler d’elles… Outre le fait que nulle autre religion n’accepterait d’être traitée de la sorte, on peut s’interroger sur le besoin qu’ont les « artistes » de se déchaîner ainsi contre le christianisme par le biais de la dérision, du cynisme, de l’ironie. Certains clament leur très légitime indignation en manifestant publiquement devant théâtres ou salles d’exposition. Sans doute certains sont-ils excessifs car excédés par ce déferlement christianophobe. Mais ils ont le mérite de réveiller une certaine apathie chez nos concitoyens qui, tout en étant d’accord avec eux, n’osent pas réagir, terrorisés par l’opinion médiatique qui les ferait passer pour des « fondamentalistes chrétiens ». Comment pouvons-nous admettre que l’argent du contribuable subventionne grassement des oeuvres si contestables ? Accepterions-nous que l’impôt finance des scènes non respectueuses de l’Islam ou du Judaïsme ? »

On notera la signature de deux députés UMP du Rhône, Philippe Cochet, patron de l’UMP locale, et Michel Terrot.

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Si l’on peut légitimement être inquiet au vu du sort réservé à de nombreux catholiques (ou chrétiens) dans le monde, dont certains tombent encore pour leur foi (il y aurait actuellement plus de 200 millions de chrétiens des diverses confessions en difficulté, discriminés en raison de leur foi), je suis personnellement choqué des arguments utilisés dans ce texte à l’encontre de l’art (« trop irrespectueux de la religion chrétienne ») et du soutien affiché aux militants de Civitas et autres groupuscules comme l’Action Française qui manifestent, à Paris et en province, devant les théâtres où se jouent des pièces qu’ils jugent « blasphématoires ». « Certains clament leur très légitime indignation en manifestant publiquement devant théâtres ou salles d’exposition. »

Pour mémoire, en avril, l’œuvre d’Andres Serrano, Piss Christ, a été vandalisée. A Paris et en province, l’association Civitas organise des rassemblements donnant parfois lieu à des violences devant les théâtres où se jouent des pièces qu’ils considèrent « blasphématoires ». Deux sont principalement visées : celle de Romeo Castellucci, « Sur le concept du visage du fils de Dieu » ou encore « Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia.

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Un petit point de droit, car après tout, les parlementaires votent la loi. Donc sont censés la connaître.

La liberté d’opinion et d’expression est généralement considérée comme une des libertés fondamentales de l’être humain. Elle est d’ailleurs citée à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme :

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Pour l’Europe (Convention européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe de 1950 (article 10) :

1 Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2 L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Allez, un autre extrait de texte pour la route…

Jurisprudence (Cour européenne des droits de l’homme, 21 janvier 1999, no 29183/95, Fressoz et Roire c. France)

La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de « société démocratique ».

En droit français, l’incitation à la haine raciale est un délit défini par Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (art. 24; depuis au moins la loi de 1972 relative à la lutte contre le racisme ; contrairement à ce qu’on croit souvent, cette disposition n’a pas été modifiée par la loi Gayssot, mais par la loi de 1992 relative à la réforme du Code pénal, loi en vigueur depuis 1994 :

Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :

[...]

Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.

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Ceci étant posé. Une question vient immédiatement aux lèvres. « Si ces expositions ou pièces de théâtre tombent sous le coup de la loi, pourquoi ne pas porter plainte ? »

On s’aperçoit que la plupart du temps, ces mouvements de type Civitas préfèrent une bonne manifestation, où une pression sur les sponsors (cf. la polémique annuelle avec le Hellfest) qu’un dépôt de plainte. La force de l’image face à la force de la décision de justice. Ils ont tout compris de la communication d’influence…

Pour ce qui est des parlementaires, même si je ne conteste pas qu’ils aient pu être choqués dans leurs convictions par ce qu’ils estiment être de la christianophobie, la tentation électoraliste est parfois sous jacente, comme ce député qui annonce clairement la couleur sur La Chaine Parlementaire : « Je relaie simplement ce que j’entends dans ma circonscription« , annonce Jacques Remiller (Isère). Philippe Goujon, député-maire du 15e arrondissement de Paris confirme : « On a reçu beaucoup de courriers… »

Pour moi, une pièce de théâtre se déroule dans un lieu privé. Nul n’est contraint d’y entrer, il faut pour cela poser un acte délibéré, prendre un billet. On peut discuter le travail du metteur en scène, trouver son travail injuste et mal reçu par les croyants, mais il est difficile de s’y opposer légalement. A moins d’invoquer la censure ou les textes de loi cités ci-desus. Il en est autrement des activités publiques, dans la rue. Cela dit, si un théâtre a le droit d’accueillir n’importe quel spectacle, les chrétiens ont aussi la liberté d’exprimer un désaccord.

Je crois que le patron de Civitas se grandirait en allant à la rencontre des artistes. En ouvrant le dialogue. Dialoguer ne signifie pas tomber d’accord. Or les artistes incriminés réclament ce dialogue auquel les manifestants n’opposent qu’un visage outragé, voire haineux.

Gérard Leclerc, journaliste à valeurs Actuelles, magazine que l’on ne pourra pas taxer de gauchisme ou de centrisme, expliquait fort justement dans son billet daté de ce matin

C’est une des difficultés de la situation actuelle. Faut-il se coaliser contre le blasphème, réclamer son interdiction, alors que les lois de la République en ignorent le concept même ? Exiger l’interdiction, ce n’est pas seulement attenter au droit d’expression, c’est courir le risque de s’identifier à une attitude fondamentaliste, celle qui refuse la discussion et la controverse, alors qu’elles font partie intégrante de la tradition chrétienne. Je le dis sans acrimonie à l’égard de ceux qui manifestent depuis plusieurs semaines contre la christianophobie : ils n’ont pas pris garde qu’ils seraient incompris par une large partie de l’opinion et la quasi-totalité du monde culturel. Leur opposition a trop pris l’apparence de certains mouvements brutaux, tels ceux qui avaient soulevé les foules contre le discours de Benoît XVI à Ratisbonne. Quelle que soit la pureté de leurs intentions, ils ont accrédité l’image de croisés furieux, intolérants et vociférateurs.

Cette image est injuste ? Sans aucun doute. Elle trahit le plus souvent l’indignation spontanée, la souffrance profonde de ceux dont les sentiments les plus intimes, les convictions les plus délicates se trouvent grossièrement foulés aux pieds. Cependant, à oublier le précepte fondamental fides quaerens intellectum, ils ont fourni à l’adversaire ses meilleures armes. Ils ont imposé l’idée d’un intégrisme obtus, incapable d’une analyse sérieuse et d’une réponse rationnelle à la contestation de la foi. Bien sûr, on arguera que lorsque cette contestation revêt la forme caricaturale de l’outrage, il n’y aurait de riposte possible, hors une certaine véhémence, dans le seul témoignage de la prière. Je n’en suis pas certain pour ma part, parce que, lorsque la prière se met à la remorque de la manifestation de rue, elle est en péril de dénaturation.

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Reste que le système politique français est construit sur le principe de laïcité. Qui, faut-il le répéter, pose comme postulat :

• la garantie apportée par l’Etat de la liberté de conscience et du droit de d’exprimer ses convictions (droit de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, d’assister ou pas aux cérémonies religieuses).

• la neutralité de l’État en matière religieuse. Aucune religion n’est privilégiée; il n’y a pas de hiérarchie entre les croyances ou entre croyance et non-croyance.

J’ai toujours regardé avec méfiance les politiques qui avaient tendance à mélanger missel et code civil. L’un est de nature privée, l’autre de nature publique.

Je pense que la véritable origine de ces manifestations se trouve non pas dans le fait que la France soit christianophobe, mais plutôt de plus en plus indifférente aux religions. Il y a trente ans, 70% des Français se déclaraient catholiques. Aujourd’hui, ils sont 42%. De nombreuses personnes ont ainsi l’impression qu’il y a un effondrement de la France chrétienne, de la France de Clovis, de celle de Louis XIII qui consacrait le pays à la Vierge Marie, et vivent dans la nostalgie de cette France « éternellement catholique ». Le fait est que nous sommes aujourd’hui dans une société qui devient majoritairement agnostique ou athée, avec un pluralisme religieux dans lequel le christianisme devient une religion comme les autres, avec en parallèle une progression de l’islam. témoin la fête du 8 décembre, à Lyon, progressivement passée de la « Fête de la Vierge Marie » à « Fête des lumières »…

Un islam qui se vit, en religion du quotidien, et un christianisme qui est vécu comme une religion « hobby », lorsque l’on a le temps où lorsque l’envie nous en prend. Souvent à l’occasion d’un événement négatif. On peut regretter ce manque d’appétence pour la foi des racines de l’Europe, et cet attachement à un monde par trop matérialiste. Heureusement, l’Eglise évolue, elle bouge, et certaines églises sont pleines, avec une majorité de jeunes. Le succès des JMJ en est la preuve. Donc tout n’est pas si noir ou si anti-chrétien qu’on voudra bien nous le faire croire !

Et puis, en France, le jour où les chrétiens ne feront plus réagir leurs contemporains, ce sera très mauvais signe

Les Commentaires ( 2 )

  1. de Jérôme Manin
    posté le 8 déc 2011

    La laïcité devrait aussi nous conduire à ne pas demander en matière de plat cuisiné à une vache folle un avis sur la grippe aviaire.

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  2. de Guillaume D.
    posté le 10 déc 2011

    Tout à fait d’accord avec l’esprit de cet article, et totalement dans la lignée de Gérard Leclerc (toujours aussi juste !).
    Juste deux petites choses à ajouter néanmoins :
    - certes personne n’est obligé de voir ces pièces, mais je comprends que certains puissent s’émouvoir que leurs impôts servent à financer une pièce dont le fondement est un anti-christianisme (et non une christianophobie, terme qui me hérisse le poil) viscéral et primaire : « L’artiste démontre avec toutes ses armes que l’iconographie chrétienne est pour lui l’image même de la « terreur et de la barbarie ». », « ils s’attaquent aux peurs de deux mille ans de christianisme. », sans parler d’ « El puto diablo ». Comment ne pas y voir une incitation à la haine de notre culture (nos arts, nos livres, notre architecture !), de notre histoire, et de peut-être 60 % de nos concitoyens… ? Comment ne pas admettre qu’une pièce qui parlerait d’ « El puto diablo de Mahomet qui a semé la terreur depuis 1300 ans » ne serait pas subventionnée ?
    - je honnis littéralement Civitas qui pour moi fait infiniment plus de mal au christianisme que Rodrigo Garcia. Mais je suis écœuré quand je constate (enfin on a l’habitude pourtant…) l’acharnement des journalistes contre eux pour quelques jets d’œufs et bousculades dans le même temps qu’ils s’acharnent à louer les vertus des « islamistes modérés »…

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