Histoires de pintades

Ce soir, direction Téhéran. Une ville de plus de 12 millions d’habitants qui fait peur aux occidentaux que nous sommes. Et pourtant, Delphine Minoui, correspondante du Figaro à Téhéran et lauréate du prix Albert Londres 2006, se livre dans son dernier livre, « Les pintades à Téhéran », à une photographie attachante de ce monde schizophrénique qui a « digéré la recette de la double appartenance ».

Ce livre est à mi-chemin entre un reportage d’Envoyé Spécial et un carnet de vie, mâtiné de conseils façon Lonely Planet. « Il répond à l’envie d’aller au-delà des gros titres effrayants de l’actualité. »
Dix ans que Delphine Minoui est installée en Iran. Un Iran bien loin des raccourcis officiels ou des a priori. Un Iran où les femmes, les fameuses « pintades » (je mets le terme entre guillemets de peur d’être traité de malfaisant comme le dernier Devedjian local !), se jouent des interdits pour mieux les contourner, à leur manière.
Un Téhéran où « le Coca-Cola, breuvage étendard des Etats-Unis, pays le plus détesté par les mollahs au pouvoir, est ici aussi siroté à longueur de journée » aux terrasses des cafés de Vali Asr. « Le Coca-Cola reste la boisson préférée des pintades et de leur basse-cour. »
Un Téhéran où le « roussari », terme persan pour désigner le foulard que l’on se cale sur la tête, remplace bien souvent le tchador. « Si les jeunes Iraniennes se sentent portées par tant d’audace, c’est peut-être qu’au fond, parce qu’elles savent jouer avec les ambiguïtés qui entourent l’obligation de porter le foulard. Il n’existe aucun texte de loi qui impose de hedjab. (…) Après l’élection d’un réformateur, le Président Khâtami, en mai 1997, les Iraniennes se sont engouffrées dans les brèches ouvertes par le vent des réformes pour s’accorder quelques libertés : d’abord des foulards colorés, puis des mèches rebelles et les touches de maquillage, ensuite les manteaux cintrés. »
Et tant pis si elles doivent subir l’humiliation du démaquillage public, voire de la détention au poste. « Condamnées à l’invisibilité, les Iraniennes se sont lancé comme défi de redevenir visibles. »
Guidé par le regard de la journaliste, on ressent immanquablement l’affection qu’elle porte à ces femmes un peu soumises, un peu rebelles, tellement femmes. On croise, au fil des pages, Pouran au volant de son « taxi-coffee shop-deli », Mahsa, la diva clandestine à la voix de miel, Nazila, la businesswoman de charme, Negar, pin-up carrossée qui drague le beau mâle au volant de sa Peugeot 206, Maryam, la diseuse de bonne aventure, Fazeh, jeune fille de 9 ans, âge de la maturité pour l’Islam, et qui doit désormais porter le foulard… Elle a vécu, au quotidien, les préoccupations de ces fameuses « pintades » : les courses, les envies au fil des boutiques du Grand Bazar, à la recherche du Takhfif, le bon prix, la prière du vendredi, à la Mosquée, prétexte au sport national des pintades de Téhéran, le gheybat, le commérage, les soirées entre amies, les repas, le sport, la drague, sans oublier la mode. Le moindre aspect de leur vie quotidienne est empreint de contradiction, entre respect de la loi et contestation par l’esquive.
On apprend au fil des pages qu’à Téhéran, les femmes ont le droit de vote, qu’elles ont le droit d’être élues. Qu’elles ne sont pas cloîtrées à la maison, que 60 % des étudiants sont même des étudiantes. Qu’elles ont le droit de conduire une voiture et de se promener dans la rue sans chaperon. « Téhéran, ce n’est ni Ryad ni Kaboul. C’est sûr, la vie des pintades téhéranaises est pleine de contraintes et d’interdits. Au regard de la loi, elles ne valent que la moitié d’un homme. Elles sont interdites de chant, de sexe avant le mariage, et doivent mettre un foulard sur la tête quand elles sortent… Mais leur quotidien est un pied de nez permanent à la censure, une lutte de tous les instants contre une République islamique qui ne leur fait pas de cadeaux. »
On apprend qu’il est impossible de déshabiller la Barbie iranienne (Sara) car les fabricants ont collé les vêtements à son corps et, quelques pages plus loin, on se rend compte que, sans tabou, les persanes s’offrent de la lingerie on ne peut plus osée ! Ou, quand après avoir passé la journée à sermonner les jeunes femmes sur leurs tenues et attitudes, les miliciennes islamistes, rebaptisées « batwomen », retrouvent leurs amies pour danser, jacasser, parler épilation et comparer les mérites de la totale ou du Hitler (certaines comprendront de quoi je parle. Les autres liront le livre !).
Sans complaisance ni propos convenu sur l’Islam, la journaliste raconte la contrainte du port du roussari (le voile) dans ses aspects quotidiens. Mais on comprend aussi que, dans une certaine mesure, il a permis aux filles de se libérer du carcan familial en accédant aux études. Eh oui, leurs filles emprisonnées dans un carré de tissu, les pères leur laissent plus facilement la possibilité de se rendre dans des lieux mixtes, comme l’université. Ou quand l’éducation provoque l’émancipation !
« Les pintades à Téhéran » de Delphine Minoui. Editions Jacob-Duvernet. 19,90 euros

Le site des pintades

Le blog de Delphine Minoui

Les Commentaires ( 2 )

  1. de Erick Roux de Bézieux
    posté le 11 sept 2007

    Et si ce livre n'était que mystification ? Sur le site
    http://www.iran-resist.org/article3751
    les auteurs se livrent à une violente charge contre Delphine Minoui accusée de « façonner un Iran imaginaire pour les lecteurs bobo de Télérama avant de continuer son ¶uvre de propagande chez le Figaro. Un Iran imaginaire peuplé de jeunes pro Khatami et de femmes en quête d’une nouvelle liberté. Cette nouvelle liberté n’a jamais existé pas plus que les femmes qui l’incarnaient. »
    Je ne sais qui a raison… Lecteurs, si vous avez une opinion !
    Tout ce que je sais, c'est que le prestigieux Prix Albert Londres n'est pas donné sans raison. En l'occurence pour une série de papiers sur l'Iran et l'Irak.

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  2. de Erick Roux de Bézieux
    posté le 11 sept 2007

    Je viens d'avoir un long échange téléphonique avec mon ami iranien Ahmad Fazzeli, le patron de Vignes & Vins, quai de Serbie dans le 6ème arrondissement (je vous recommande sa Foire aux Vins qui se tient ce mois ci. Il y a de bonnes affaires !).
    Il me confirme la véracité du livre de Delphine Minoui. Téhéran est vraiment comme ça… Même s'il reproche à la journaliste de privilégier le nord de la ville, plus bourgeois, plus élitiste, qui a toujours eu cette attitude « rebelle » au sud de Téhéran, plus intégriste.
    Si le portrait est fidèle, il n'empêche que les fanatiques intégristes sont nombreux, l'arbitraire quotidien et le régime loin d'être un havre de démocratie à l'occidentale.

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