Et après ?

Benetapres

 

Bien entendu, quasiment deux jours après, l’émotion est intacte. La France, les Français, vous et moi, ont (enfin) pris conscience, brutalement, qu’ils étaient en guerre. Non pas en guerre de religion, mais en guerre contre des religieux qui voient en nous des « croisés qu’il faut abattre ».

Tout semble avoir démarré entre une rédaction d’un hebdomadaire satirique et un supermarché casher, entre les 7 et 9 janvier 2015. Et pourtant, les prémices de cette guerre sont bien plus anciens…

 

La revendication de Daech démarre par la sourate 59, verset 2.

« Ils pensaient qu’en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs cœurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains, autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, ô vous êtes doués de clairvoyance. »

 

Elle poursuit par « Huit frères, portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut, ont pris pour cibles des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française » dont « le Bataclan où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de la perversité. »

Le message conclut par « Cette attaque n’est que le début de la tempête et un avertissement. »

L’ennemi est désigné : les Français dans leur ensemble. Pas des journalistes, des juifs, des chrétiens, des policiers ou des militaires, des politiques. Des Français, j’allais dire des anonymes, dont le seul tort vendredi soir était d’avoir voulu s’amuser, boire, passer du bon temps, écouter de la musique, manger, fêter un anniversaire, aimer. Vivre ! Cette « attaque bénie de Paris contre la France croisée » (je cite ces barbares) est un acte de guerre. S’en prendre à des civils au nom d’une cause, c’est un acte de guerre.

En fait, mais nous l’avions oublié tant ces batailles sont parfois loin de nous et que l’information chasse l’information, nous sommes en guerre depuis bien longtemps. Souvenons-nous, et je ne prends que les attentats majeurs de ces deux dernières années : Nigéria (février 2014), Nigéria (mai 2014), Bruxelles (mai 2014), Nigéria (novembre 2014), Cameroun (décembre 2014), France (décembre 2014), France (janvier 2015), Nigéria (janvier 2015), Lybie (janvier 2015), Danemark (février 2015), Mali (mars 2015), Yémen (mars 2015), Tunisie, (mars 2015), Kenya (avril 2015), France (avril 2015), Tunisie (juin 2015), Egypte (juillet 2015), Cameroun (juillet 2015), France (août 2015), Russie (octobre 2015), Beyrouth (novembre 2015). Et je vous passe les attentats suicides en Irak ou en Syrie…

A travers Paris, c’est la France et l’Europe, le ventre mou de l’Occident, qui sont visés. Et cette Europe, mon Europe, où est-elle ? Que fait-elle ?

 

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Les réactions saturent les réseaux sociaux. Empathie, peur rétrospective (et future ?), émotion, photos, drapeaux, bougies illustrent les profils. Mais déjà, l’émotion dicte l’action. « Résistance », « Nous les détruirons », « Internement des personnes fichées S », « Armons-nous », « Eradication », etc. On sent derrière ces mots le désarroi face à des attaques que l’on ne maîtrise pas, car que faire face à des fous endoctrinés ? Les mailles du filet semblent bien trop grandes…

Et heureusement, pas ou peu de réactions contre les musulmans de France qui, eux aussi, subissent ces violences. D’abord en tant que Français, mais aussi en tant que croyants. Une mère était interviewée place de la République à Paris. Elle expliquait son désarroi de croyante musulmane face à la question simple de sa fille « Mais maman, les musulmans sont des assassins ? »

Alors qu’Islam et islamistes sont au cœur des débats depuis plus de 10 ans, pas de guerre civile à l’horizon. Les Français savent très bien faire la part des choses, même si l’Islam en France souffre de plusieurs « lacunes » : la formation des imams, la représentation des musulmans, le financement du culte, etc. Sans parler des mosquées radicales contre lesquelles on fait peu et de l’échec toujours pas avoué des politiques d’intégration d’une jeunesse souvent désemparée et sans repère. Terreau facile pour les extrémistes. Ne l’oublions pas, le premier contingent étranger de Daech vient de France. D’ex fils de France pour frapper les Français.

Il n’empêche, nous avons pour beaucoup en souvenir la réaction de ces enfants et adolescents musulmans à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo. « Les jeunes me disent que ce sont des héros, morts les armes à la main, et admirent leur bravoure », s’alarmait dans Le Progrès de Lyon mon ami Mohamed Tria, le combatif patron du club de football Lyon Duchère AS.

Et l’absence criante de beaucoup d’entre eux dans les manifestations monstres de janvier dernier fut remarquée.

L’imam de Bordeaux, omniprésent sur la scène médiatique, estime dans le JDD de ce matin que « Les institutions musulmanes doivent parler, se manifester. D’ailleurs, elles ont toutes fait des communiqués pour condamner ce qui s’est passé. C’est nécessaire mais pas suffisant. Les musulmans doivent aussi se manifester pour dire stop, pour dire qu’on n’accepte pas ces actions au nom de notre religion. Cela passe par la responsabilisation des musulmans en tant que citoyen. C’est ce que nous essayons de faire dans nos prêches et nos conférences. De ne pas rester dans la passivité, de participer aux débats. De ne pas laisser ces gens-là confisquer leur religion. » Pour lui, « les institutions musulmanes sont dépassées par ce qui se passe. Elles n’ont aucune influence sur les jeunes. Aujourd’hui, c’est le virtuel, internet qui prévaut. »

Il serait intéressant de retourner à La Duchère et de revoir ces jeunes. Un an après, et face au meurtre de sans froid, de jeunes à un concert ou, tout simplement, à la terrasse d’un bistrot. Parleraient-ils encore de bravoure  et de héros ? Car cette fois, ce sont bien des Français anonymes, tués justement pour un mode de vie.

Le message est différent des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher : ce n’est pas l’idée même de liberté qui est ciblée, c’est la jeunesse française, sa joie de vivre, l’espoir qu’elle porte qui sont visés.

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Un lyonnais, le romancier Marc Lambron, livre son point de vue dans une remarquable interview au JDD.

Pour lui, si les terroristes haïssent ce que nous représentons, c’est parce que « le diable n’aime pas la France, c’est évident. Nous représentons dans l’histoire une culture de guerriers raffinés, le pays qui, dès le moyen âge, a cimenté ses civilités autour de la conversation, de la beauté, des paysages, de la grâce des femmes. Notre paradis en offusque d’autres. »

A la question de savoir s’il existe une éthique de comportement face à la terreur, il cite Beyrouth, « cette façon qu’ont souvent eue les Libanais, qui sont des francophones, de vivre dans leur capitale en narguant la guerre par le courage de l’élégance. Ne céder sur rien, et surtout pas sur les grâces de la vie.« 

N’oublions pas que le terroriste vit de la terreur qu’il provoque. D’ailleurs, le mot terrorisme a été utilisé pour la première fois en novembre 1794 pour désigner la « doctrine des partisans de la Terreur » pendant la Révolution Française.

J’ajouterai que l’élégance culturelle à la Française serait de relire et de faire la promotion des grands textes arabo-musulmans. Du temps où cette civilisation portait aussi la lumière et le savoir, la grâce, les talents, l’innovation et un certain art de vivre.

J’étais justement vendredi soir au lancement de 2 Rives TV, une chaine de télévision implantée à Lyon et qui s’adresse aux populations des deux rives de la Méditerranée. Elle est dédiée au savoir et à l’éducation via des programmes originaux de découverte et de valorisation des cultures françaises et maghrébines. Le défi est lancé pour Hassan El Ouakhchachi et Marine Elek, les deux fondateurs de 2 Rives TV. Moins de 3 heures plus tard, à Paris…

 

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Donc c’est la guerre. Et l’on nous annonce que les frappes de la coalition ont coupé en deux le califat de Daech, notamment par la prise de deux villes, maillons forts sur les voies de circulation et la destruction par les avions français d’un site pétrolier et gazier, l’une des sources de financement des terroristes.

L’excellent Arnaud Danjean, jeune député européen Les Républicains, mais surtout ancien de la DGSE et spécialiste des questions internationales, explique au quotidien L’opinion de ce matin :

« Ces précédents (ndlr : l’Irak et l’Afghanistan) doivent nous amener à bien réfléchir comment nous allons mener la guerre à l’Etat islamique. La coalition militaire la plus large possible doit certes se mettre en place. Des succès sont d’ailleurs visibles, et cela n’est sans doute pas étranger à la stratégie d’exportation spectaculaire de la terreur par Daech. Quand un groupe terroriste est bousculé dans son sanctuaire, il frappe dans la profondeur de son ennemi. Au Sinaï, à Paris, à Beyrouth…

Donc oui, l’action militaire peut amoindrir l’EI, peut-être même le détruire. Mais cette conviction stratégique ne doit pas nous exonérer de deux réflexions : tactiquement, qui peut et doit mener ces opérations ? Que nous les soutenions, très bien. Mais devons-nous, et surtout pouvons-nous, alors que nos moyens sont contraints et déjà largement mobilisés en Afrique, être en première ligne ? Les pays de la région ont une responsabilité écrasante et nous serions bien inspirés de rappeler à certains de nos si généreux clients commerciaux que la priorité est moins de bombarder les milices chiites du Yémen que de frapper l’Etat islamique…

Et ceci nous amène sur la deuxième variable de la guerre à mener : quid de l’après ? Dans cette région en pleine recomposition tectonique – avec des lignes de fracture béantes que Daech n’a pas créées mais qu’il exploite avec opportunisme – sans planification diplomatique, humanitaire, politique élaborée, « l’éradication » militaire de ces barbares ressemblera à celle des talibans. Une grave illusion nous condamnant à être les Sisyphe de l’interventionnisme…

Quelle articulation du pouvoir et des communautés en Syrie et en Irak, quid de la rivalité entre l’Iran et les pays du Golfe ? Vouloir mener la guerre en Irak et en Syrie contre ceux qui nous menacent, c’est accepter en pleine connaissance de cause d’avoir à trancher aussi – surtout ! – ces questions, causes profondes de l’instabilité sur laquelle Daech prospère. L’équation de l’intervention militaire comporte des inconnues rendant l’exercice un peu plus complexe que certaines déclarations martiales le laissent penser à nos compatriotes légitimement avides d’action décisive. »

Le débat est ouvert…

 

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Il me semble évident que la doctrine de la France va changer. A la ligne « Rien qui pourrait conforter Bachar, bourreau de son peuple » va se substituer une large coalition contre les fossoyeurs de la liberté. En diplomatie comme dans la guerre, les ennemis d’hier peuvent devenir des alliés du moment, unis à nous par des intérêts convergents : Bachar El Hassad, mais aussi les Iraniens et les Saoudiens, avec les Turcs et les Qataris, tous dorénavant hostiles à Daech.

La question est simple : Iraniens et Saoudiens vont-ils être capables de s’entendre sur une vision commune de l’équilibre des forces au Proche-Orient ? C’est là l’enjeu des négociations actuelles dans laquelle les USA jouent un rôle majeur, allié historique des Saoudiens et nouveaux amis des Iraniens. De cet accord dépend le déploiement d’une force internationale crédible, sur le terrain, en Syrie et en Irak pour lutter contre Daech, avec les bons outils : une couverture aérienne, une infanterie spécialisée mais aussi et peut-être surtout, des négociateurs capables de parler aux tribus sunnites locales pour les retourner, comme les Américains avaient su – provisoirement – le faire en 2005 et 2006 face à al-Qaïda.

Et puis, comme le note justement Arnaud Danjean, « il y a le « front » intérieur de cette fameuse guerre. Celui sur lequel sont tués le plus de Français aujourd’hui. Car même l’éradication hypothétique de l’EI au Levant n’annulerait pas la menace. Les foyers d’instabilité demeureront ailleurs (Libye, Sahel, Corne de l’Afrique, Asie centrale…) et les radicaux vivant sur notre sol seront toujours là. La plasticité géographique et opérationnelle est bien une caractéristique essentielle du terrorisme. La seule réponse efficace repose donc dans nos capacités de renseignement, de police et de justice. »

 

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Je ne résiste pas à conclure ce billet par deux extraits…

Le premier, d’Amin Maalouf, paru dans un livre passionnant publié en 2009 chez Grasset : « Le dérèglement du monde ». C’est en page 19, puis en page 142.

« Le monde arabo-musulman s’enfonce encore et encore dans un « puits » historique d’où il semble incapable de remonter ; il éprouve de la rancœur contre la terra entière – les occidentaux, les Russes, les Chinois, les hindouistes, les juifs, etc.- et avant tout contre lui même. (…) « Chaque Arabe porte en lui l’âme d’un héros déchu, et une velléité de revanche sur tous ceux qui l’ont bafoué. Si on la lui promet, il tend l’oreille, avec un mélange d’attente et d’incrédulité. Si on la lui offre, même partiellement, même sous forme symbolique, il s’enflamme. »

La seconde est d’Antoine Sfeir, pour qui j’ai grande admiration, dans une conversation avec la politologue Nicole Bacharan parue en 2006 sous le titre « Américains-Arabes : l’affrontement » (Seuil), page 245 :

« Sur le terrain, la violence du terrorisme est indéniable. Mais il y a aussi une violence d’attitude, que les Etats-Unis ont montré en traitant pas les autres en égaux. C’est l’attente première des Arabes : être vraiment traités en égaux, et non qu’on leur donne l’illusion de l’égalité. C’est fondamental. Pour eux, il suffirait de très peu : d’une simple prise en compte de leur culture et de leur religion. On revient à ce qu’y fut notre fil conducteur durant tout ce livre : la conciliation passe par le savoir, l’enseignement et bien entendu l’éducation. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Commentaires ( 1 )

  1. de Raboz
    posté le 15 nov 2015

    De retour de l’étranger, j’arrive en France et j’ai le sentiment d’être chez les fous. Pays en guerre ? Mon oeil ! Troisième guerre mondiale ? Prions qu’elle ne fasse que 140 morts.
    A quoi bon toutes ces postures martiales bien ridicules ? Elle ne réussiront même pas à faire remonter la popularité de Hollande. Quand à régler les vrais problèmes, le désespoir au fond des citées, l’incurie de l’Education Nationale, l’assistanat générateur de frustrations… La posture martiale n’en réglera aucun.

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