Et si demain Fillon ?

Fillon-Faire« Je préfère les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent ». François Fillon fait sienne la pensée de Démosthène dans un livre au titre sous forme de verbe d’action : « Faire ». 312 pages et 25 chapitres d’un véritable plaidoyer pour la liberté qui démarre par une citation qui claque « La liberté est une rupture ». Fillon savait-il en la choisissant qu’elle était de François Mitterrand ? Après avoir rédigé les programmes de Chirac en 2002 puis de Nicolas Sarkozy en 2007, il se met à son compte. En ligne de mire : les primaires de 2016…

Pour Michel Rocard, les dirigeants politiques se répartissent en deux familles : « Ceux qui le veulent pour en profiter. Et ceux qui le veulent pour faire ». Autant vous dire que François Fillon se range de facto dans la seconde catégorie ! À un peu plus d’un an de la primaire qui désignera le candidat de la droite et du centre à la présidentielle de 2017, François Fillon lance son offensive politique et médiatique avec la sortie de son livre Faire et un plan média digne d’une rock star !

Son précédent livre, La France peut supporter la vérité, paru en 2006, l’avait conduit à Matignon. Celui-là le conduira-t-il à l’Élysée? La question est sur toutes les lèvres car avec un petit 9% d’intentions de vote aux primaires, l’étoile du favori des sondages au sortir du quinquenat de Nicolas Sarkozy a bien pâli.

 

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Son livre démarre ainsi…

« Depuis trois ans, je sillonne la France à la rencontre de ses espoirs et de ses colères, de ses joies et de ses blessures. Je le fais avec humilité et discrétion, sans cameramen à mes trousses. Au fil de mes rencontres, une vérité s’est très vite imposée : la plupart des problèmes des Français ont une solution simple et pourtant ignorée de ceux qui les gouvernent, c’est la liberté.« 

Je me souviens de son passage à Lyon. C’était durant la dernière municipale. Il avait fait une pierre deux coups : soutenir Michel Havard, l’un de ses fidèles, et rencontrer de jeunes entrepreneurs. Nous avions organisé une table ronde avec une vingtaine de chefs d’entreprises, des nouvelles technologies à la gastronomie. Et Fillon de passer deux heures à écouter, à prendre des notes, à apprendre parfois ! J’avais été impressionné par son écoute studieuse, sa façon de pratiquer l’écoute active et une certaine forme d’humilité rare chez les politiques de ce niveau.

 

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Dans « Faire », François Fillon se pose en défenseur de l’économie libérale et de la « rupture » qu’il détaille, entre autobiographie, analyse politique et propositions économiques et sociales.

L’homme qui affirmait en 2007 « être à la tête d’un Etat en faillite » ne renie rien. C’est le même regard grave et lucide qu’il porte sur la France, le même plaidoyer pour des réformes et la même préférence pour l’argumentation un rien aride plutôt que pour les slogans trop faciles. Pour lui, les Français n’en peuvent plus des artifices de communication et du machiavélisme permanent. Sérieux, constance et responsabilité sont les piliers de Fillon. Avec un projet de loin le plus travaillé des différents candidats déclarés aux primaires.

« Contre le sang et les larmes, je choisis la liberté et la vérité. Contre les conservatismes qui nous étouffent, je choisis la liberté qui est le meilleur logiciel du progrès économique, technologique et social. Contre les marchands d’illusion, je choisis la vérité qui est la base d’une action politique saine et respectée. »

Un soir de 1966, Pompidou était alors Premier ministre, un chargé de mission à Matignon du nom de Jacques Chirac présente à son patron une pile de décrets à signer. Colère de Pompidou, rapportée par Chirac : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays ». De son immersion en France, Fillon tire la même analyse. « Nous sommes devenus incapables de résoudre un problème autrement que par une nouvelle interdiction ou une nouvelle contrainte baroque qui s’ajoutent aux innombrables règles que nous avons empilées depuis des années. » A commencer par le stupide principe de précaution qui bride toute initiative, notamment dans les domaines de la recherche et du développement. « Placer le progrès au cœur de notre projet politique commun exige de revenir sur cet absurde principe de précaution qui aurait fait de Pasteur un délinquant et mis au chômage technique le plupart de nos grands inventeurs. »

L’ancien Premier ministre, qui a connu tous les mandats en trente-cinq ans de vie politique et fait de la modération une marque de fabrique, estime que la droite ne pourra plus se contenter de demi-mesures. Le projet est ambitieux, « ni lyrique, ni irréaliste, ni utopique » : fin des 35 heures, retour au 39 heures pour les fonctionnaires et rétablissement du jour de carence supprimé par la gauche, retraite à 65 ans, cure d’amaigrissement pour le code du travail et primauté aux accords collectifs d’entreprise, baisse des charges et des prélèvements sur les entreprises, réforme de la représentation salariale, fusion des diverses allocations dans une allocation sociale unique, 110 milliards de baisse des dépenses publiques, plus grande autonomie des écoles, collèges et lycées, développement de l’alternance et de l’apprentissage, fusion régions/départements, réduction du nombres de parlementaires et de ministres…

Bref du lourd, à lire afin de bien comprendre la méthode et l’objectif…

 

Extraits

« La France étouffe sous les réglementations, les interdictions, les injonctions et les prélèvements obligatoires. Les Français ne parviennent plus à supporter le poids d’un Etat et d’un secteur public hypertrophiés. (…) Le moment est venu de libérer le pays et, d’un même geste, de restaurer sa souveraineté en le sevrant de sa dépendance aux marchés financiers. L’esprit de la République doit nous guider. La République est une révolte. La République fait tomber les bastilles. Et elles doivent tomber, là où la rigidité du code du travail exclut ceux qui cherchent un travail ; là où l’excès de fiscalité décourage les talents ; là où la barrière des réglementations bloque l’innovation ; là où l’opium des déficits nous endort ; là où le nivellement par le bas noie le mérite de ceux qui n’ont, dans leurs mains, que leur audace.

Il suffit de se refuser à promettre des chimères pour que l’on vous réponde que vous n’avez que «du sang et des larmes» à offrir. On m’a souvent dit que j’avais ce langage. J’ai la plus grande admiration pour Churchill qui a prononcé cette formule, mais ce n’est pas vrai. Travailler trois ou quatre heures de plus par semaine, ce n’est pas du sang et des larmes. Partir à la retraite à soixante-cinq ans, comme presque tous les Européens, ce n’est pas du sang et des larmes. Remplacer l’indemnisation du chômage par une obligation de formation professionnelle, ce n’est pas du sang et des larmes.

Le sang et les larmes, c’est aujourd’hui, pour les six millions de Français qui sont au chômage total ou partiel, pour les travailleurs pauvres dont le nombre ne cesse d’augmenter, pour les retraités qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts après toute une vie de labeur, pour les deux millions de jeunes Français qui ne sont ni à l’école, ni en formation, ni au travail, pour les artisans qui ne parviennent pas à se verser un salaire à la fin du mois, pour les agriculteurs qui bradent leurs productions tandis que s’enrichissent quelques distributeurs aux résultats insolents. Contre le sang et les larmes, je choisis la liberté et la vérité. Contre les conservatismes qui nous étouffent, je choisis la liberté qui est le meilleur logiciel du progrès économique, technologique et social. Contre les marchands d’illusions, je choisis la vérité qui est la base d’une action politique saine et respectée. »

 

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« Pourquoi feriez-vous demain ce que vous n’avez pas fait hier ? » La question qui tue est abordée dès le chapitre 6, avant ses relations avec Nicolas Sarkozy et le fonctionnement de l’Etat.

Ce chapitre a pour objectif de répondre à la désillusion de tant d’électeurs de droite qui reprochent à leurs leaders d’être si martiaux lorsqu’ils sont dans l’opposition et si mous, voire de gauche, lorsqu’ils sont au pouvoir. S’il assume le bilan du quinquennat (comment pourrait-il faire autrement ?) François Fillon évoque trop de « rendez-vous manqués ».

« La loyauté institutionnelle et personnelle qui a été la mienne au cours de son mandat m’inspire aussi mon attitude concernant le bilan de ces cinq années – bilan auquel la majorité socialiste n’a cessé de renvoyer, d’une manière emphatique et fallacieuse, pour masquer ses propres incapacités. J’étais son premier ministre : si je m’appropriais ce bilan, on me blâmerait ; si je le reniais, on me le reprocherait aussi. Je ne m’approprie pas ce bilan : c’est le sien. Je ne renie pas ce bilan : c’est le nôtre. J’assume totalement le fait d’y être associé. Je n’aurais pas quitté Matignon pour des raisons de stratégie individuelle, je l’aurais fait si j’avais été fondamentalement en désaccord avec les orientations qui étaient prises. »

 

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La petite phrase, celle qui essaie de tuer, divise et sème la pagaille, les journalistes l’ont cherché, notamment dans le portrait de Nicolas Sarkozy. Dans un chapitre de treize pages consacrées à l’ex-chef de l’Etat, il en dresse un portrait attachant et subtil tout en décochant quelques flèches.

« Beaucoup de choses ont été dites sur l’état des relations entre Nicolas Sarkozy et moi-même au cours de son mandat présidentiel. Certains ont voulu grossir des épisodes insignifiants pour vendre au public des scénarios de tragédies shakespeariennes. Les chroniqueurs ont besoin de drame! (…) La réalité était moins romanesque. Nos rapports ont été solides, francs. Nous avons eu des discussions vives, des désaccords et même des discordes, évidemment. Nous savions les solder en tête à tête. Je n’ai jamais voulu que nos débats soient mis sur la place publique, ni accepté de les laisser transparaître par des voies obliques. J’ai toujours pris soin de lui réserver mes réflexions, mes critiques ou mes réticences. Il avait derrière lui la légitimité du suffrage universel ; je savais quel était mon rôle et je ne voulais pas donner le sentiment de l’outrepasser. A deux reprises au début du quinquennat, je lui ai présenté ma démission parce que ses griefs à mon encontre risquaient de nuire dangereusement au fonctionnement de l’Etat. Ce fut notamment le cas en septembre 2007 quand, après ma sortie sur la faillite des finances publiques, l’entourage du président de la République ne retenait plus ses coups et critiquait ouvertement mon action. A la veille des journées parlementaires de l’UMP à Strasbourg, nous eûmes une conversation téléphonique orageuse que je ne pus conclure que par l’offre de ma démission. Je l’ai fait de manière spontanée, sans protocole, sans pression de sa part, avec le souci de lui être utile et de servir notre majorité. Je l’ai fait dans le secret de nos entrevues et rien n’en a filtré alors. Agiter officiellement cette menace n’aurait pas été conforme à l’idée que j’avais de ma fonction. A chaque fois il a écarté cette hypothèse sans se jouer d’artifices ; à chaque fois le débat sincère que nous avons eu autour de cette option a relancé notre tandem.

Et finalement, nous avons travaillé ensemble pendant cinq ans, résistant aux déstabilisations insidieuses, faisant face à des situations de crise où nos liens n’ont pas éclaté et se sont plutôt renforcés. Le temps, les épreuves ont joué en notre faveur et amélioré nos rapports. (…)

J’ai vu Nicolas Sarkozy souffrir et douter ; je l’ai vu étrangement pondéré, presque contemplatif, quand tout s’agitait autour de lui ; je l’ai vu sensible, prévenant, capable sur des sujets inattendus d’une culture qui prenait tout le monde de court, à rebours du personnage de plébéien teigneux qu’il avait cru devoir se forger pour conquérir le pouvoir, mais dans lequel il s’est probablement trop enfermé pour le conserver. Lui qu’on dit imprévisible et sans un regard pour le passé pouvait se montrer soucieux d’honorer de vieilles promesses que d’autres grands fauves politiques auraient oubliées aussitôt faites. Et la prudence que l’on était enclin à m’attribuer fut régulièrement de son côté plutôt que du mien. Sur certains sujets – trente-cinq heures, réforme des retraites, réduction des déficits -, j’aurais voulu que nous allions plus loin. J’étais prêt à assumer devant l’opinion et devant le Parlement des choix tranchés, impopulaires. D’une certaine façon, il semblait chercher le compromis comme s’il craignait le procès en extrémisme que ses adversaires n’ont cessé de lui intenter. Il lui répugnait de ne pas être aimé.

Cela fit de lui un extraordinaire combattant, mais un homme d’État vulnérable aux humeurs de l’opinion. Je suis moins malléable, moins perméable. Mon énergie entretient ma ténacité, me rend plus indifférent à l’écume des choses, à l’air du temps ; la sienne appelle l’immédiateté, aspire à la séduction dans l’instant. La hantise qu’il avait de son image freina sa capacité de mouvement, tout en le poussant à essayer des options divergentes qu’il abandonnait l’une après l’autre avant de les avoir menées à terme. Au moment de passer à l’action, il hésitait à prendre des risques, alors qu’il avait su apparaître dans ses discours comme un homme que rien ne pouvait arrêter. Par rapport aux portraits qui étaient faits de nous, notre complémentarité s’est trouvée ainsi, plus d’une fois, à fronts renversés. (…)

Sa campagne électorale fut, à l’image de sa candidature, à quitte ou double: brûlante, décousue, irascible. J’ai souvent eu le sentiment d’être en présence d’un boxeur acculé dans les cordes et livrant ses coups sans compter, avec l’énergie du désespoir. (…) Ceux qui, par affection, déception ou nostalgie réécrivent l’histoire en disant que Nicolas Sarkozy était près du but esquivent la vraie analyse: en 2012, la victoire a échappé à la droite alors que les conditions du succès étaient pourtant largement réunies. »

 

9% aujourd’hui, combien demain ? L’offensive a démarré. Elle s’appuie sur un projet plus que sur des coups de com. Le fond suffira-t-il ou les bonnes idées seront-elles pillées par les compétiteurs. A suivre… En attendant, François Fillon a marqué un bon point, celui de la cohérence entre l’intention et le projet. Et il a su séduire le libéral-social qui sommeille d’un œil en moi !

 

 

« Faire », paru chez Albin Michel. 20 euros

 

 

 

 

 

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