Sarkozy… Et après ?

NS

En 24 heures chrono, 151 851 adhérents de l’UMP ont voté pour élire leur nouveau président. Et comme prévu, Nicolas Sarkozy a été élu. Moins triomphalement qu’il ne l’estimait il y a quelques mois mais, avec 64,5% des voix, c’est net. Une élection qui ouvre, dès à présent, un champ d’interrogations…

L’UMP, courant de pensée sans véritable tradition démocratique, vient d’organiser l’élection de son président sans dommage et sans réclamation. Un succès qui doit se mesurer à l’aune du précédent scrutin qui avait vu Copé et Fillon se trainer mutuellement dans la fange. Avec près de deux tiers des suffrages et une élection au premier tour, Nicolas Sarkozy peut revendiquer un score confortable, sans pour autant être « soviétique » et spectaculaire (à comparer avec celui de Marine Le Pen, seule candidate ce week-end, et qui affiche crânement, et sans débat, 100% des voix et 17 abstentions !).
Nicolas Sarkozy est donc, depuis samedi soir 20h45, un président normal. Pas sûr que l’adjectif le fasse sourire… En fait, le plus difficile commence : rassembler, tenir et gérer le parti, incarner une opposition dotée d’un cerveau et d’un projet moderne et enthousiasmant, puis préparer 2017. Et démontrer qu’il n’est pas, comme le titrait L’Obs ce week-end, un homme « usé ».

« La volonté de renouveau devra être entendue et respectée ». Bruno Le Maire, fort de ses 29,18%, a marqué l’enjeu dans la foulée de la proclamation des résultats. Car au delà de la sémantique induite par le changement de nom de l’UMP annoncé par son nouveau président, l’enjeu réside bien dans la modernité : une nouvelle génération à promouvoir (les nouveaux maires élus en mars dernier, les nouveaux parlementaires…), un fonctionnement plus ouvert et décentralisé, la reconnaissance de la diversité de pensée, un travail collaboratif avec les meilleurs think tank comme, par exemple, l’Institut Thomas More, pour bâtir un projet innovant, etc. Bref, la rénovation à tous les étages !
Sur le projet justement, je vous recommande l’excellente interview d’Alain Madelin parue dans Le Figaro. L’ex-homme politique, plus libéral que jamais, développe sa vision du débat politique et du renouveau qui devra nécessairement passer par la réforme de nos idées !

Un renouveau qui détonne, car le « come back » régulier des hommes politiques battus est une sorte d’exception culturelle française, où la politique est vécue -et perçue- comme une guerre jamais terminée. Juppé se paie même le luxe d’être considéré comme un homme neuf, c’est dire ! Le Monde, dans un papier daté du samedi 29 novembre, explique fort bien cette exception française…

Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, l’affaire vient de loin. « Héritée du catholicisme et de la monarchie, explique-t-il, notre culture politique accorde à la personnalisation du pouvoir une plus grande importance » qu’à l’étranger, où la politique est davantage vécue comme un service. Notre « attachement à la personne du roi, puis de l’empereur » s’est « reporté sur la personne des politiques ». Le mode de scrutin uninominal et le cumul des mandats – une autre exception française –, y compris dans le temps, pèsent de tout leur poids sur le même plateau de la balance. S’ajoute l’absence de statut de l’élu qui contribue, elle aussi, à une professionnalisation de la politique rivant ses pratiquants à leurs fauteuils. Résultat : on vote en France pour un nom, plus que pour un parti. Et l’on s’attache à un homme – ou une femme – plus qu’à l’institution qu’il (ou elle) représente. Au point de reconduire son chef quoi qu’il ait fait, ou de le suivre par-delà la défaite. Si l’on songe, en outre, à la fascination que les « losers » exercent sur les Français – « l’effet Poulidor », du nom de l’éternel second des pelotons –, tout responsable politique ayant un brin d’ambition peut avoir jusqu’à son dernier soupir des raisons d’espérer. (…) « Quand [le 21 avril 2002] le protestant Jospin a dit J’arrête, personne n’a compris, rappelle Dominique Rousseau. Tout le monde l’a critiqué, l’accusant d’abandonner son camp au milieu de la bataille, alors qu’il se conduisait comme le font les hommes politiques à l’étranger. »

Bruno Le Maire est, c’est évident, l’autre grand vainqueur de cette élection interne. Avec 29,18%, il totalise près de la moitié du total des suffrages qui se sont portés sur Nicolas Sarkozy. Il a désormais une longueur d’avance, celle du scrutin interne, sur les autres « quadras » de l’UMP : Nathalie Kosciusko-Morizet, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez ou François Baroin.
Mais ce succès pourrait devenir une victoire à la pyrrhus pour Bruno Le Maire. Il doit désormais gérer son capital de 45 000 supporters militants de façon habile, sans créer de divisions internes ; accepter la main tendue de Sarkozy sans se laisser dévorer et digérer ; être un acteur du renouveau de l’UMP, tout en renforçant son écurie alors que certains de ses soutiens lorgnent déjà vers Nicolas Sarkozy ou Allain Juppé pour la future présidentielle ; faire entendre sa petite musique sans être considéré comme un fractionniste dans un parti qui réclame d’abord l’unité. Bref, les ennuis commencent pour Bruno Le Maire… Paradoxe d’une victoire nichée dans une défaite.

Les fameuses primaires, quelles soient de la droite ou de la droite et du centre, sont au cœur des débats. Tous l’ont juré, la main sur le cœur et, pour certains, les doigts croisés derrière le dos. Pour Alain Juppé, l’actuel très sérieux challenger de Nicolas Sarkozy à la présidentielle, c’est un prérequis non négociable. Il fait des primaires ouvertes, avec plusieurs millions de votants (comme le PS en 2007 puis en 2011), une question de principe… Ce matin, le Journal du Dimanche a publié un sondage de l’Ifop sur les atouts des deux hommes pour représenter leur camp en 2017. Treize adjectifs (du sérieux au dynamisme en passant par la capacité de rassembler son camp) ont été proposés aux sondés. Pour l’ensemble des Français, Alain Juppé fait course en tête, exception faite du dynamisme et de l’autorité. Les sympathisants de droite ont un tout autre jugement. Cette fois, Nicolas Sarkozy arrive en tête sur 8 propositions sur 13. Les deux hommes sont à égalité, de façon significative, quant à leur capacité à rassembler les Français (36% chacun). Pour ces sympathisants de droite, Sarkozy est le mieux placé pour remporter l’élection présidentielle de 2017 (43% contre 34%) mais Juppé est jugé le plus à même de rassembler les électeurs de droite et du centre (45% contre 34%). Le thème le plus fort de Sarkozy: le dynamisme. Celui de Juppé : le sérieux.

Si Sarkozy est un vrai compétiteur, il a une conception très conservatrice de l’organisation politique : le parti a un leader, le leader porte la parole du parti, il est donc le candidat naturel du parti aux présidentielles.
Or le monde a changé et nous ne sommes plus au siècle dernier… L’UMP a d’ores et déjà au moins 3 autres candidats naturels (Juppé, Fillon, Bertrand, sans parler de Le Maire) qui, de l’intérieur, vont passer leur temps à faire entendre une petite musique forcément différenciante. Et tels des joueurs de judo, ils vont avoir de cesse de faire chuter Nicolas Sarkozy en mettant en avant leurs qualités qui seront comme par hasard l’exact opposé de ses défauts. Ce jeu mortifère, attisé par les médias, ne pourra se conclure que par des primaires. Car à l’arrivée, il n’en faudra qu’un, oint par les Français, pour s’opposer à ce qu’il restera de la gauche et à une Marine Le Pen auréolée de ses succès annoncés aux élections départementales et régionales de 2015.

La primaire n’est pas la solution miracle, mais c’est une fantastique machine à réguler les ambitions. Sinon, l’UMP et le centre risquent bien d’exploser façon puzzle. J’y vois également l’exact opposé de cette élection interne où il fallait d’abord séduire le militant, au risque de céder, par exemple, une abrogation aux plus droitiers d’entre eux. La primaire devra séduire le cœur de la droite et du centre, c’est-à-dire l’ensemble de l’électorat, bien au-delà des quelques milliers de militants actifs. Elle permettra de tout dire, de dévoiler les personnalités, de frotter les arguments à la pierre ponce et de sortir avec un candidat et un projet légitimé. Autre avantage, l’occupation de l’espace médiatique durant quelques mois et la mise sous tension de l’électorat de la droite et du centre.
J’entends certains me dire que le premier tour de la présidentielle sert de primaire (et pour pas cher). Sauf que le prix à payer d’une multiplication des candidatures de la droite et du centre risque d’être tout simplement son absence au second tour dès lors où une Marine Le Pen semble, à lire les sondages, déjà en passe de se qualifier.

On le voit, l’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP pose plus de questions qu’elle n’en résout. Les semaines et les mois à venir risquent d’être passionnants. A condition que nous n’ayons pas « la droite la plus bête du monde » !

 

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Si comme moi vous aimez la politique, je vous recommande le débat organisé par Acteurs de l’Economie « Réinventer la politique : l’heure d’y croire ? » Débat avec Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, mon ami Denis Muzet, président de l’Institut Médiascopie et l’excellent Pascal Perrineau, politologue au Cevipof.

C’est le mardi 2 décembre à 18 heures au grand amphi de l’IEP Lyon 7 rue Appleton – Lyon 7. L’entrée est libre…

 

Les Commentaires ( 2 )

  1. de Noelle
    posté le 1 déc 2014

    Excellent, même si j’ai quelques diversgences sur quelques points, notamment le sujet sur les primaires « ouvertes ».

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  2. posté le 15 jan 2015

    Très intéressant comme article; cependant, je tiens à dire qu’à mon avis, comme on connait tous M.Sarkozy, on peut déja avoir une idée de ce qui va se passer par la suite dans ce parti!

      Répondre

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