Sur un coin de table…

Coin de tableAllez, ce sera 14, à moins que… Les heures qui ont précédé l’envoi de la tribune du Président de la République à la presse régionale témoigne d’un amateurisme et d’une impréparation sidérante. Comme l’a très bien dit ce matin Xavier Bertrand au micro d’Europe 1, Hollande a le vrait talent de transformer en plomb une idée en or !

 

L’affaire est symbolisée par un XXX. « Pour les renforcer (les régions), je propose donc de ramener leur nombre de 22 à XXX. »

XXX, trois petites croix qui témoignent, à 18h00 lundi dernier, que rien n’est calé. Il faudra attendre 20h37 pour que les XXX se transforment en 14. Deux heures et quelques durant lequel le Président a passé des coups de fil, ménagé la chèvre et le choux, passé de 12 à 15 puis à 13 avant de choisir 14, tenté de faire plaisir à tous ses copains pour en définitive quasiment tous les décevoir !

Samedi et dimanche, les barons socialistes avaient quasiment tous plaidé pour leur chapelle, voyant des frontières mouvantes, leur propre intérêt électoral n’étant pas absent des demandes, exigences, coups de menton et autre manœuvres.

A l’arrivée, des regroupements logiques et d’autres beaucoup plus baroques ! En fait, la nouvelle carte de France plante un coin entre des régions très puissantes d’un côté et des régions laissées pour compte, de l’autre. Cette réforme, au lieu de lutter contre les fractures territoriales, ne fera donc que les aggraver.

Je ne vais néanmoins pas bouder mon plaisir, moi qui ai toujours été un girondin convaincu (rien à voir avec les habitants de Bordeaux chers lecteurs, lire la note en bas d’article). Pour une fois où les choses semblent avancer…

Mais il reste des questions majeures en suspens… J’en aborde quatre, à vous de compléter !

 

> Pourquoi faire ?

On nous parle d’économies. L’exécutif annonce urbi et orbi une dizaine de milliards d’économies sur les dix prochaines années. Sans aucune étude sérieuse pour appuyer son affirmation. François Hollande annonce même dans sa tribune « des économies pour limiter le recours à l’impôt », Manuel Valls confirmant dans le même temps une diminution des dotations de l’Etat (entamée en 2014) vers les collectivités de 10 milliards sur la période 2015-2017.

Ce ne sont pas les poignées de doublons dans les effectifs qui vont permettre aux collectivités de réaliser des économies, d’autant qu’il faudra compter sur le seul mécanisme des départs à la retraite. Par ailleurs, dans les régions, les premières masses budgétaires sont les transports avec les TER, l’enseignement et la recherche. Deux postes qui ne bougeront pas à la baisse.

Pourquoi faire donc ? On s’aperçoit que derrière la carte diffusée abondamment à la presse, il n’y a rien. Aucun projet politique de simplification, pas de choc, pas de décentralisation large des pouvoirs (notamment dans le domaine de l’éducation comme dans les Länders allemands). Juste une carte et des revendications parfois très amusantes, les Picards préférant leur fromage local au champagne !

Notre carte administrative a peu changé depuis la Révolution (lire la note en bas de page et cliquer sur le lien) où le temps de transport se comptait en journée de cheval. Et même si les régions sont une création somme toute récente (1956), notre organisation administrative a toujours su empiler, négligeant souvent la proximité, l’efficacité et l’évolution du pays.

François Hollande avait devant lui une vraie chance : avec un tel taux de popularité, il n’a plus rien à perdre, donc autant renverser la table. Il lui suffisait de piocher dans les excellents rapports des diverses commissions qui se sont penchées sur le sujet. Et de faire ce que Sarkozy n’a pas osé.

Non, une fois de plus, c’est de la cosmétique, sans fond, sans véritable réforme. On nous annonce que les départements seront vidés de leur substance (mais pas de leurs élus !) pour éviter de passer par une réforme constitutionnelle, on passe sous silence le nombre insensé de communes, le rôle des intercommunalités, le service au public, les nécessaires économies, le qui fera quoi…

 

> Quelle attractivité ?

Une grande région, à dimension européenne, c’est d’abord une ville qui rayonne humainement, culturellement, économiquement… Sans revenir au souvenir des villes hanséatiques et sans aborder le débat sur le nouveau pouvoir des villes dans le monde, certaines de ces régions nouvelles font surtout penser au désert. Huit grandes villes structurent le territoire : Paris (à tout seigneur tout honneur), Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Toulouse, Nantes et Strasbourg. D’aucuns ajoutent Nice, Dijon ou encore Tours, mais c’est plus contestable. Huit villes, huit régions.

Au lieu de quoi, on a Centre-Limousin-Poitou Charentes, assemblage improbable, sans ville dominante. Nantes se trouve privée de la Bretagne. L’île-de-France ne bouge pas, ne tenant pas compte de ses extensions urbaines comme Montereau-Fault-Yonne chère à l’ami Yves Jégo et Marseille, pourtant à la manœuvre pour s’allier autour du grand delta du Rhône avec Montpellier et Avignon, reste à la tête d’une Paca solitaire. Bref, on a fait de l’assemblage au lieu de tout remettre à plat, sans même se poser les vraies questions de la nécessaire influence…

 

> Comment trancher ?

La droite lance sur les plateaux télé l’arme (fatale ?) du référendum. Les gaullistes et les socialistes n’ont pas oublié les leçons de l’histoire. Ou comment jeter Hollande avec l’eau du bain.
Solution séduisante, mais politiquement inacceptable.

Pour ma part, je suis partisan du retour devant les Français, avec un référendum à la dimension de la future région organisé après le débat dans les deux assemblées. Même si l’on a en mémoire l’échec de la fusion Bas-Rhin, Haut-Rhin et région Alsace, cette option du retour au peuple a au moins le mérite d’initier le débat et de poser de vraies questions, notamment sur le contour final des nouvelles régions.

Le refus du Premier ministre d’autoriser des départements à choisir d’être rattaché à une autre région limitrophe témoigne d’un conservatisme et d’une étroitesse d’esprit. Peut-être une ruade espagnole au souvenir de la large décentralisation dans la péninsule ibérique avec ses avantages et ses inconvénients. Guillaume Perrault dans son excellent papier de politique fiction de paru dans le Figaro de ce matin cite une citation du 24 janvier 1974 tirée des Discours de Georges Pompidou : « Il y a déjà eu l’Europe des régions, ça s’appelait le Moyen Age, ça s’appelait la féodalité (…) C’est pourquoi la région ne doit à aucun prix être une arme ou un moyen dirigé contre l’Etat. »

 

> Qui élire ?

Marre des scrutins de listes qui privilégient les petits arrangements entre amis politiques et empêchent une bonne partie du renouvellement. Il existait trois élections nobles : la présidentielle, la députation et le conseil général. Toutes les trois faites sur un nom, un projet, une ambition, une image.

Il serait bienvenu que ces futurs conseillers régionaux soient les représentants des territoires de la région, élus sur leur nom, au lieu d’être élus de nulle part. Les majorités pourraient parfois être complexes, mais en Rhône-Alpes, par exemple, l’absence de majorité politique n’a pas empêché Charles Millon, au cours de son premier mandat de président, de constituer des majorités de projets.

Nicolas Sarkozy avait créé le conseiller territorial, sitôt supprimé par François Hollande au nom de « tout de qui a été fait avant est mal ». Stupidité !

Le débat est ouvert. Il sera passionné et passionnant…

 

 

Pour suivre…

Girondins vs jacobins

Sous la Convention, les députés Girondins, partisans d’une assez large décentralisation, s’opposent aux Jacobins, tenants d’une République unitaire. Ces derniers font supprimer les conseils de département et transférer leurs attributions à des administrations de district directement contrôlées par le Comité de Salut public. Depuis cette époque, les termes de « girondin » et de « jacobin » qualifient les partisans ou les adversaires de la décentralisation.

http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/decentralisation.asp

 

 

 

 

 

Les Commentaires ( 4 )

  1. de Marc Sence
    posté le 4 juin 2014

    Excellent ! Sûrement pas rédigé sur un coin de table. lol

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  2. de Erick Roux de Bezieux
    posté le 4 juin 2014

    En déplacement je ne peux pas modifier mon texte mais les lecteurs avertis auront noté que la bonne ville d’Yves Jégo est bien en Île de France ! Il aurait fallu citer d’autres villes limitrophes de la région et qui mériteraient d’y être rattachées.

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  3. de Stephen Gautier
    posté le 4 juin 2014

    Excellent jet.
    Je ne sais pas qui est M. le choux mais j’ai une petite idée pour Mme. la chèvre…

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  4. de Dupla
    posté le 4 juin 2014

    Très intéressant ! Article bien construit et réfléchi

      Répondre

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